"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Jean Borie a soixante-dix ans. Il a eu, comme il l'écrit drôlement, « l'occasion d'émigrer aux Etats-Unis, de traverser plusieurs fois la Beauce et de se réfugier en Suisse ». Il a déjà publié chez Grasset : Huysmans, le diable, le célibataire et Dieu (1987), Frédéric et les amis des hommes, présentation de l'Education sentimentale (1990), Archéologie de la modernité (1999). Il s'agit d'un roman étrange, autobiographique, grinçant, drolatique et sarcastique. Son auteur a beaucoup lu, il est très savant et il se plaît, dans cette tentative d'autofiction, à tourner son érudition en dérision. Cet « esprit si craintif... », c'est donc « les mots » d'un célibataire désespéré mais pas triste. Et il faut entrer dans ce livre avec ironie, car tout y est piégé... Louis, le héros, a soixante-cinq ans et, au soir de sa vie, il raconte les épisodes mémorables de son existence. Or, que peut-il bien y avoir de mémorable dans l'existence d'un professeur à qui il n'est (presque) rien arrivé ? En y réfléchissant bien, Louis s'avise cependant qu'il a eu une passion dans sa vie, et cette passion, c'est la peur. Oui, la peur, avec son cortège de lâchetés, de compromis, d'humiliations... Devenu mémorialiste de lui-même, Louis décrit donc les ravages de cette peur dans ses faits et gestes passés. Il en profite pour écrire, en se moquant, ses nombreux voyages dans les mondes anglo-saxons où la peur, dit-il, est « moins méprisée que dans nos séjours latins »... En dépit de son médiocre bilan existentiel, Louis n'est pourtant pas mécontent de lui. Pour un peu, il se prendrait même pour un personnage historique, représentatif d'une époque et pourvu, par le destin, d'une vie presque normale. Comme un autre Barnabooth, le héros de Larbaud, Louis profite du livre qu'il se consacre à lui-même pour passer en fraude au lecteur un échantillon de ses oeuvres littéraires virtuelles, qui sont d'un genre indéfinissable où se mêlent le lyrisme, la parodie et le bizarre. On sort de ce roman déconcerté et souriant. Comme si la dérision - et l'autodérision - était le meilleur viatique pour qui veut traverser la vie en se consolant de n'y laisser aucune trace...
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