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Adam Smith avait raison. Il y a bien une main invisible, une main qui fait fonctionner les systèmes et les institutions. Mais cette main, c'est la main des hommes et non celle de la Providence. Le corps humain n'est pas absent du travail, comme on l'entend un peu partout: il n'est que trop présent. La diminution structurelle du travail manuel n'attesterait-elle pas d'un mouvement inverse? Tout au contraire. Car le travail manuel, ce n'est ni la main ni le corps de l'homme, mais leur objectivation sous l'emprise de l'organisation scientifique du travail. Nos enquêtes le prouvent: dans les univers hypertechnicisés où nous avons séjourné, scrutant à la loupe les activités et les liens, le corps humain ne quitte jamais la scène productive. Il la réinvestit à sa manière. Toute la question est de savoir ce que nos systèmes sociaux font de cette praxis - comment ils la qualifient ou la disqualifient.
Il n'y a pas d'un côté une croissance purifiée, déchargée des contraintes de l'activité laborieuse et gouvernée par les exigences de la rationalité abstraite; et de l'autre, des inemployables dont on pourrait régulièrement dresser l'inventaire comptable avant que, peu à peu, ils ne descendent avec la lenteur des mourants l'escalier de la déchéance sociale. Il n'y a pas deux mondes, mais un seul espace de qualification ou de disqualification dont le chômage de longue durée traduit tour à tour l'impuissance radicale ou l'ultime direction. Cet espace est néanmoins devenu de plus en plus flou. Loin de se limiter à des classifications établies une fois pour toutes, il dépend à la fois d'un champ de forces et d'une éducation du regard.
Les forces, ce sont ces intérêts antagonistes qui accompagnent le développement du capitalisme depuis sa fondation et trouvent dans la négociation les conditions d'un équilibre, toujours temporaire. Le regard, c'est la capacité à dépasser les stéréotypes que la période actuelle entretient constamment sur le travail humain pour y déceler les indices d'une présence vive, inventive, incarnée.
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