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Aux États-Unis, lors de la guerre froide (soit entre la fin de la Seconde guerre mondiale et le début des années 1980), le concept de « rationalité » attira l'attention des politiciens et des militaires qui demandèrent à divers chercheurs en sciences humaines (psychologie, sociologie, sciences politiques, économie, algorithmie, etc.) de reconfigurer la rationalité pour mieux en déployer les ressorts dans un univers politique et scientifique coupé en deux. Quand la raison faillit perdre l'esprit redonne vie à ces scientifiques de haut niveau - Herbert Simon, Oskar Morgenstern, Herman Kahn, Anatol Rapoport, Thomas Schelling et bien d'autres -, qui ont remodelé les manières de penser les rapports politiques et sociaux à l'aide d'outils intellectuels venus des mathématiques ou de la physique. Désormais, les transactions économiques, l'évolution biologique, les élections politiques, les stratégies militaires voire même les relations internationales sont envisagés comme des phénomènes où les prises de décisions relèvent de l'optimisation mathématique ou de la programmation algorithmique. Véritable livre collectif écrit par six chercheurs aux compétences diverses, Quand la raison faillit perdre l'esprit retrace l'histoire récente de la « mécanisation » / « mathématisation » de la rationalité humaine qui mena petit à petit au monde algorithmique que nous connaissons aujourd'hui.
Les différents théoriciens, conseillers politiques et autres personnalités que l'on croise au fil des pages de ce livre s'engagèrent dans une campagne intellectuelle pour définir la rationalité et la manière de la déployer dans un monde confronté à une menace sans précédent. Cet ouvrage s'intéresse autant aux débats qui occupèrent ces figures que les doctrines qu'elles pronèrent : où tracer la frontière qui sépare la rationalité de l'irrationalité ? Entre la rationalité et la raison ? Qui était le représentant idéal de la rationalité : l'individu ou le groupe ? S'agissait-il d'agents non humains, tels que les animaux ou les ordinateurs ? L'empathie et l'émotion étaient-elles les amies ou les ennemies à la rationalité ?
Pouvait-on fabriquer des situations pour influencer le degré de rationalité d'un être humain ? Quelles méthodologies employées en sciences humaines permettaient d'accéder à la rationalité ? Et surtout, comment garantir une prise de décision rationnelle face à des enjeux considérables, dans un climat de tension entravant toute réflexion sereine, à la limite d'une guerre nucléaire ? Basées sur la prudence, l'expérience, la délibération et la consultation, la raison pratique et l'habileté politique traditionnelles paraissaient inadaptées à un tel défi, et aussi anachroniques que des armes conventionnelles face à un arsenal nucléaire. Malgré le niveau d'abstraction et de technicité des débats sur les matrices des gains ou le traitement de données, les dilemmes de l'ère nucléaire demeuraient omniprésents, comme en attestent les exemples présentés dans cet ouvrage. Les discussions sur la rationalité de Guerre froide se différenciaient de débats similaires, passés ou à venir, par le sentiment d'urgence qui les animait : pour les participants, l'enjeu de ces questions n'était rien de moins que le sort de l'humanité.
Si la rationalité de la Guerre froide a peut-être perdu sa cohérence, et pour certains sa crédibilité, ses composantes continuent de prospérer au sein d'une multitudes de disciplines. Mais quelque vingt-cinq ans plus tard, comme l'illustrent sa réduction obsessionnelle du champ d'investigation, ses hypothèses hautement improbables, sa vénération de la méthode aux dépens du contenu, et surtout ses ambitions démesurées, l'étrangeté de la rationalité de la Guerre froide est aujourd'hui manifeste. Une intelligence éclatante, aussi concentrée qu'intense, s'alliait à une extrême gravité vis-à-vis de la tâche à accomplir. Ces deux traits se étaient magnifiés par l'exaltation du travail d'équipe et l'urgence du défi à relever. L'objectif n'était rien de moins que de sauver le monde. Face à ces pressions exacerbées, les débats sur la rationalité de la Guerre froide prirent la forme de programmes, de visions du monde, voire même de croisades. Avec le recul, cette mégalomanie frise parfois le ridicule, et s'avère complètement disproportionnée par rapport à des attentes raisonnables. Et pourtant, ces échanges intenses cherchant à définir comment et pourquoi être rationnel in extremis demeurent l'un des épisodes les plus haletants de l'histoire des idées au 20e siècle.
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