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Mémoire argentine s'ouvre sur une anecdote douloureuse : la narratrice est dans une salle d'attente, avant sa séance collective chez un psychiatre. Un homme arrive, en état de choc, et crie son besoin de voir un médecin. Mais on ne le reçoit pas sans rendez-vous parce qu'il faut " redresser " ce genre d'individus. L'homme se suicide la nuit même. La narratrice pose d'emblée l'emprise des psychiatres qu'elle a connus sur les êtres faibles et désoeuvrés, leur impuissance à les aider qui, sous couvert de méthodes thérapeutiques, découle en réalité de leur indifférence. La psychothérapie est un leurre : seule l'écriture cathartique pourra apaiser la souffrance de la narratrice.
Dans ce recueil de récits qui constitue une sorte d'autobiographie kaléidoscopique, Tununa Mercado interroge en effet sa propre mémoire d'exilée argentine. Seize années passées loin de son pays - un premier exil après le coup d'état de 1966 jusqu'en 1970 et un second de 1974 à 1986 - ont privé sa psyché et son corps des repères vitaux. Autour des thématiques du déplacement et du retour, elle explore les effets physiques et psychologiques induits par la condition d'exilée : l'éclatement de son identité, la confusion des lieux et du temps, ses difficultés à s'intégrer dans une culture étrangère, les maladies psychosomatiques qui adviennent de son angoisse, la présence des êtres et des choses qu'elle a laissés et qui la hantent, le sentiment omniprésent de la perte.
Ce sont des situations précises qu'évoque la narratrice, non sans humour ni sans ironie quand elle parle de ses problèmes vestimentaires, de ses obsessions culinaires ou de ses soucis domestiques. Avec un sens cinglant du détail significatif, elle parvient à rendre palpable la réalité de son identité diffractée, lors de ses séjours en France et au Mexique, mais aussi lors de ses différents retours sur le sol natal, pointant à la fois le ridicule et le pathos de sa situation : même lorsqu'il revient chez lui, l'exilé reste un marginal.
La narratrice évoque aussi le destin d'autres exilés : celui des Argentins au Mexique qui reconstruisent ensemble le décor de leur pays pour y vivre par procuration afin de " transformer ces limbes argentins qui constitu[ent] l'exil ". Le lecteur croise également Ovidio Gondi, socialiste républicain, exilé espagnol depuis 1939, Pedro, exilé européen qui trouve ses semblables dans le peuple argentin, et Trotski, le grand exilé, qui finit sa vie au Mexique et dont les compagnons de la narratrice visitent rituellement la dernière demeure. Enfin, le récit se clôt sur la figure du clochard Andrés, antithèse de la narratrice, exilé volontaire dans son propre pays, qui a choisi de vivre à ciel ouvert, sans maison et sans biens, pour résoudre des questions théoriques mathématiques.
Ces récits, d'une écriture dense, poétique, marquée par l'urgence sont comme une typologie de l'exil et la véritable force de la narratrice est de parvenir à lier son destin dans ce qu'il a de plus intime à une fatalité collective. Ici, c'est le fonctionnement de la mémoire qui fascine : par des sensations, des impressions ténues, Tununa Mercado mène obstinément sa recherche du temps retrouvé.
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