"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Avis sur les Trois Aurélia STEINER (Melbourne, Vancouver puis Paris)
Ces trois variations d'Aurélia STEINER sont sombres. On les distingue par les villes car à chaque fin, Duras écris à peu près toujours ceci :
"Je m'appelle Aurélia Steiner.
J'habite XXX où mes parents sont professeurs.
J'ai dix-huit ans.
J'écris."
XXX = tour à tour Melbourne, puis Vancouver puis Paris.
Le premier Aurélia Steiner (Melbourne) est un chant d'amour triste :
"Où êtes-vous ?
Comment vous atteindre ?
Comment nous faire nous rapprocher ensemble de cet amour, annuler cette apparente fragmentation des temps qui nous séparent l'un de l'autre ?"
C'est aussi un chant sombre où le soir vient, le chat lépreux et affamé est fou, où les roses fanent. La guerre probablement arrive par métaphore.
Dans le deuxième Aurélia Steiner (Vancouver), les histoires s'entremêlent. Aurélia Steiner n'est jamais la même. C'est une jeune fille de 18 ans mais aussi l'enfant d'une déportée gazée, tout autant que cette même mère gazée dans les camps, aimée par un voleur pendu puis fusillé qui était son amant et qui tenta de protéger son enfant. La mer et le vent sont l'allégorie du nazisme et des déportations.
On retrouve tout au long de ce 2e récit les impressions du Marin de Gibraltar et l'énigmatique 'Yeux bleus, cheveux noirs" (le titre d'un de ses autres livres) :
"Je vous vois rejoindre un hôtel du port. Aujourd'hui vous êtes un marin à cheveux noirs. Grand. Toujours cette maigreur de la jeunesse ou de la faim. Vous vous êtes retournée, vous avez hésité et puis vous vous êtes éloigné. Je sais que la nuit venant vous irez du côté de cette rue et que vous la chercherez, elle, celle que vous avez croisée ce matin dans la ville, et que vous avez regardée. A cause de cette robe légère et de ce regard bleu sous les cheveux noirs" (p.154).
Le dernier Aurélia Steiner (Paris) est plus explicite sur la guerre et les bombardements, sur la ville appelée la forêt, sur ce chat ambigu (câlin et cruel qui tue), elle-même n'a pas d'identité si ce n'est celle de sa mère arrêtée puis déportée (Aurélia Steiner, la juive). Cette petite-fille de sept ans fait peur. C'est elle qui rassure la dame qui la protège mais qui ne parle que de la tuer, c'est elle qui s'amuse de la mort du papillon et de la mouche tué par le chat tout en interrogeant l'adulte muet, qui ne répond pas, n'entend pas, ne voit pas.
Sombre, triste, violent dans la tristesse même quand il parle des corps et d'amour :
"Je leur donne mon corps frais et ils le prennent.
Ils lui parlent. Ils disent qu'ils l'aiment. Ils crient, ils pleurent, ils essaient de blesser, je laisse, je laisse faire. Qu'ils fassent. Qu'ils pénètrent, qu'ils crient aimer, qu'ils pleurent. Vous auriez pu être l'un d'eux sauf que vous m'auriez vue. Vous auriez remarqué ce corps laissé, livré, cette jouissance emportée loin de vous et de laquelle celle-ci ne veut pas revenir" (Aurélia Steiner, Vancouver)
______ LES MAINS NEGATIVES
En introduction Marguerite Duras explique que les mains négatives sont " les peintures des mains trouvées dans les grottes magdaléniennes de l'Europe Sud-Atlantique. Le contour de ces mains - posées grandes ouvertes sur la pierre - étaient enduites de couleur. Le plus souvent de bleu, de noir. Parfois de rouge. Aucune explication n'a été trouvée à cette pratique".
Alors, elle rédige ce poème en prose très court célébrant le désir et l'amour de ce qui n'est pas nommé car le mot n'existe pas encore (mais le dessin nomme déjà d'une certaine façon).
Duras parle aussi de cette histoire dans son livre "Ecrire" ("ROMA", p. 113-114)
______ CESAREE
Marguerite DURAS reprend, dans ce poème en prose très court, l'histoire de Titus et Bérénice (qui est aussi une pièce de théâtre de Racine), de cette Reine "Répudiée. Chassée, Pour raison d'Etat" par ce "criminel" qu'est Titus qui n'osa pas défendre son désir et son amour. Les deux ne sont jamais nommés.
Elle, elle est la Reine des Juifs trahie. Lui, il est le criminel, celui qui a détruit son peuple à elle, sa culture, son temple et maintenant elle en tant que femme et en tant que Reine.
C'est un texte court mais puissant, en colère, triste et digne à la fois. Titus n'inspire aucune sympathie.
Duras parle de cette histoire dans son livre "Ecrire" ("ROMA", p. 116-127) et elle les appelle "les amants du Temple".
_____ LE NAVIRE NIGHT
C'est un texte déroutant qui entremêle deux histoires : DURAS qui se balade à Athènes, et Elle et Lui qui s'aiment la nuit par téléphone. Le Navire Night est comme un bateau qui navigue la nuit sur une mer de désir plus ou moins calme ou houleuse. Il s'agit d'un amour sans visage, juste sensoriel, un amour mensonger, illusoire, qui "dérive" (p. 37) et qui dura pourtant trois ans.
Lorsque le visage d'Elle se matérialise par des photos qu'elle lui envoie (encore un mensonge probablement) alors "le désir est mort tué par une image" avant de reprendre plus tard, plus espacé et que des personnages tiers s'immiscent dans leur histoire ainsi que l'argent (Elle se met à le payer). Son thème du visage revient : Duras n'aime pas les visages semble-t-il, elle n'aime que les corps comme dans Yann Andréa Steiner ou la Musica Deuxième où elle le dit aussi.
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