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Le « Moi » et le « Je ».
Quel que puisse être l'objet de ma pensée, en même temps que je pense j'ai plus ou moins conscience de moi, de mon existence personnelle. Et c'est le Je qui a conscience de ce Moi, si bien que ma personnalité totale est alors comme double, étant à la fois le sujet connaisseur et l'objet connu. Il importe de distinguer ces deux aspects de la conscience, que nous appellerons, pour faire court, le Je et le Moi. Je parle ici d' « aspects distincts » et non pas de « réalités séparées », car l'identité du Je et du Moi, identité qui se continue jusque dans l'acte même par lequel on les distingue, est sans doute la donnée la plus indéracinable du sens commun : il ne faut pas que notre terminologie détruise sournoisement cette donnée an début de nos analyses, quelles que doivent être nos conclusions finales sur sa valeur.
Je traiterai donc successivement A) du Moi comme objet connu, du « moi empirique » comme on l'appelle quelquefois, et B) ; du Je comme sujet connaissant, du « pur ego » de certains auteurs.
Il est bien difficile de tracer une ligne de démarcation entre ce qu'un homme appelle moi et ce qu'il appelle mien. Qu'il s'agisse de nous, ou qu'il s'agisse de certaines choses qui sont nôtres, nous retrouvons en nous exactement, les mêmes façons de sentir et de réagir. Notre réputation, nos enfants, les oeuvres de nos mains peuvent nous être aussi chers que nos corps, provoquer en nous les mêmes sentiments et les mêmes actes de représailles quand nous les voyons attaqués. Et nos corps eux-mêmes, sont-ils simplement nôtres ou sont-ils vraiment nous ? On a certainement vu des hommes prêts à renier leurs corps, à les considérer comme des vêtements, sinon comme des prisons de boue dont ils se réjouissaient de s'échapper un jour.
On voit donc a quel point est indécis l'objet de cette étude ; la même chose peut être envisagée tour à tour comme partie intégrante du moi, puis comme mienne, et enfin comme parfaitement étrangère et sans rapports avec le moi. Cependant, au sens le plus large du mot le moi enveloppe tout ce qu'un homme peut appeler sien, non seulement son corps et ses facultés psychiques, mais encore ses vêtements, sa maison, sa femme et ses enfants, ses ancêtres et ses amis, sa réputation et ses oeuvres, ses champs et ses chevaux, son yacht et son compte de banque. Tous ces objets lui donnent les mêmes émotions, sinon les mêmes degrés de ces émotions.
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