"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La Langue de ma mère est le premier roman de Tom Lanoye qui a été traduit en français. Le titre original en néerlandais est Sprakeloos, ce qui, littéralement, signifie« dépourvu de parole » ou « sans voix ». Dans ce livre magnifique qui est à la fois récit et autobiographie, le fils écrivain rend visite à sa mère qu'une attaque cérébrale a privée de la possibilité de parler dans une langue intelligible. Comédienne dans une Compagnie de théâtre amateur, personnage truculent qui tient aux côtés de son mari une boucherie dans la petite ville de Saint-Nicolas dans la province d'Anvers, elle est tout entière dans la parole, tant pour diriger son monde, mari, enfants, cousins, voisins que pour déclamer sur les planches les tirades de Sophocle ou d'Euripide. Alors, le baragouin furieux fait de sifflements,de syllabes éructées, de chuintements qu'elle est condamnée à émettre n'est plus qu'un flot de sons, une musique barbare que seul le fils peut déchiffrer comme une langue connue de l'intérieur, celle précisément dont l'écrivain doit retrouver le rythme pour pouvoir créer. La verve joyeuse dont Tom Lanoye use pour raconter les épisodes tragi-comiques de son enfance régie par cette mère omniprésente, magnifique de vie, alterne avec le récit de son état à l'hôpital qui semble s'améliorer puis empire jusqu'à l'aphasie, le silence et la mort. Par ces mots : « Ne plus jamais se taire, toujours écrire, plus jamais sans parole. Je commence. » Tom Lanoye boucle le livre et inscrit le sens de son oeuvre d'écrivain.
J’ai beaucoup hésité avant de lire ce livre. Parce que l’auteur y parle de sa mère qui, après une attaque cérébrale, ne s’exprime plus que dans un baragouin incompréhensible et qui, au fil du temps et d’autres attaques en série, est lâchée par son cerveau et par son corps, et tout ce que cela suppose d’humiliation. Parce que ma propre mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis plusieurs années et qu’elle ne s’exprime plus désormais que dans un baragouin dans lequel on parvient de temps en temps à reconnaître un mot ou un bout de phrase, et que son cerveau l’a lâchée sans espoir de retour, avec ce que cela implique en perte d’autonomie et donc de dignité (mais « heureusement », elle ne s’en rend plus compte), et sans compter, pour l’entourage, le déni d’abord, la révolte ensuite, puis la tristesse, mais pas l’acceptation. Bref, je me demandais si ce bouquin allait remuer le couteau dans la plaie. Pourtant je l’ai ouvert, lu, et je ne le regrette pas.
Tom Lanoye y raconte à la fois l’histoire de sa mère et l’histoire du livre lui-même et des difficultés qu’il a eues pour seulement arriver à en commencer l’écriture.
Josée, sa mère, est bouchère et comédienne de théâtre amateur à Saint-Nicolas (Sint-Niklaas), petite ville de la province d’Anvers. Commerçante et actrice, elle est une femme et une mère théâtrale, psycho-rigide, écrasante, qui n’hésite pas à jouer du chantage affectif sur ses enfants, feignant angoisse et désespoir dès que l’un d’eux dépasse de cinq minutes la permission de minuit. Autoritaire, fière, à la fois généreuse et « près de ses sous », obsédée par le qu’en-dira-t-on, elle-même n’a pas sa langue en poche et possède un art consommé de la répartie. Un sacré personnage, jusqu’au jour où elle est victime d’un AVC, perd ce qui la caractérisait, l’art de la parole, et décline peu à peu, malgré quelques périodes de rémission.
L’histoire du livre, c’est celle de la pression ressentie par l’auteur, de la part de sa mère d’abord : « tout de même, à quoi ça me sert d’avoir un fils écrivain célèbre si je ne suis même pas le personnage d’un de ses livres? Quelle ingratitude, de quoi j’aurais l’air ? » Déception pour elle puisqu’il n’écrira pas de son vivant. Pression de son père, après la mort de Josée, qui aurait tellement aimé voir son adorée ressusciter dans les pages d’un « beau gros livre ». Déception bis, Tom Lanoye ne commencera à écrire qu’après le décès de son père, deux ans après. Parce que « La vie de ma mère ne pouvait se décrire sans la sienne et inversement. C’est ainsi que ça se passe avec ces foutues amours éternelles, ces vies inséparables d’un temps révolu.[…] Avant que naisse le livre qu’il attendait si passionnément, il fallait qu’il la suive. Sa fin était l’un des chaînons de ce qu’il aurait lui-même aimé lire et partager, avec des baisers et des apéros en échange. « A ta santé, ma petite femme ! » ». Parce que « Ecrire, c’est détruire, faute de mieux. C’est seulement après cela et à cause de cela que ce que vous écrivez devient du passé. La littérature consiste à lâcher prise. Ecrire, c’est chasser de son souvenir ».
Je ne regrette pas cette lecture, malgré quelques scènes poignantes, qui réveillent de pénibles échos. Mais Tom Lanoye ne fait ni dans le pathos, ni dans l’angélisme, il raconte la vie comme elle est, avec ses montagnes russes, et les gens comme ils sont, qualités et défauts, doutes et certitudes inclus, il y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? Et puis (ça ne parlera sans doute qu’aux Belges), mention spéciale à ce parler de chez nous (et au traducteur qui l’a si bien rendu en français): en lisant j’entendais dans ma tête ma grand-mère et ma marraine et leur patois flamand, bien loin du beau néerlandais du dictionnaire. Réaliste, truculent, pudique, tendre, nostalgique, plein de belgitude et écrit avec une grande justesse de ton, ce livre est un hommage très touchant de l’auteur à ses parents. Et pour moi, une belle découverte.
Ecrit dans un style assez lourd mais relatant le réel c'est un récit qui m'a touché tant les sentiments de l'auteur sont forts.
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