"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le nouveau titre de Tropismes Édition est le recueil de trois nouvelles d’une autrice irlandaise d’origine nigériane passée par les centres de retentions qu’abrite l’Irlande, cette terre d’exil. Melatu Uche Okorie a été demandeuse d’asile puis réfugiée, elle est arrivée en 2006 en Irlande avec sa fille après avoir obtenu son diplôme en anglais. Elle a commencé à écrire dans ces centres de rétention, que l’on nomme là-bas directe provision system, lesquels même si fournissent un confort un peu plus supérieur qu’ailleurs en Irlande, témoignent encore de l’inhumanité du système qui parque les nouveaux arrivants dans des lieux d’où ils ne peuvent rien faire, sinon attendre qu’on leur distribue nourriture, argent et produits d’hygiène de façon sporadique.
C’est un recueil assez court et composé de trois nouvelles, les deux premières qui se passent en Irlande, la dernière au Nigeria : Cette vie, Sous l’auvent et L’œuf se brisa. Deux nouvelles sur le quotidien de cet enfermement entre quatre murs, où l’attente est le mot d’ordre, où la proximité est souvent invasive, où les journées sont rythmées par les repas aux horaires strictement imposés, à la distribution de tickets. La liberté demande des sacrifices et en premier lieu celui du temps abandonné dans cette zone un peu floue, implantée sur le sol irlandais, mais qui regroupe une diversité telle de nationalités différentes que l’on peut s’imaginer être un pays à part. Une semi-liberté infantilisante où les demandeurs d’asile n’ont le choix de rien. C’est une violence implicite, mais qui réduit les gens à l’état de prisonnier ou d’enfants, d’animaux parqués et séparés des Irlandais, des non-citoyens, des personnes ni partis, ni arrivées, en isolement entre deux mondes, sans identité précise. La violence, c’est cette déshumanisation née de ce traitement ou le soin, pour le personnel, devient une tâche parfaitement administrative à accomplir, non plus d’enfants, de femmes et d’hommes à s’occuper. Une mécanique bien huilée où on ne laisse pas de place au côté humain de l’entreprise, censée offrir un refuge accueillant.
Melatu Uche Okorie écrit en anglais, et Marie Mianowski la traductrice nous éclaire sur le langage utilisé, une langue anglaise qui est un héritage du colonialisme anglais et irlandais du Nigeria : Melatu Uche Okorie a créé une langue nouvelle, un créole inédit. Une langue que Marie Mianowski a tenté de retranscrire en français, mais qui reste bien plus perceptible dans sa version originale. Un nouveau langage pour illustrer cette communauté qui vit ensemble par la force des choses et qui n’a en commun que leur désir d’une vie meilleure et leur continent d’origine. Un bouillon de culture, fait de religions, de langues et d’ethnies différentes, qui n’ont en commun qu’un Anglais, un idiome personnel à chaque pays,
Ces textes sont saisissants parce que lisant la vie de ces demandeurs d’asile, on acquiert peu à peu l’impression que le système colonialisme s’est insidieusement reproduit à l’intérieur de ces centres, toujours les mêmes dominants, séparés des dominés par cette frontière invisible mais bien perceptible de ceux qui possèdent l’argent et donc le pouvoir. Les mêmes qui subissent et obéissent, dans leur pays colonisé à l’époque, comme dans le pays colonisateur aujourd’hui. Une idée filée par la seconde nouvelle, où la narratrice participe à un atelier d’écriture créative et se met à exposer oralement son texte aux autres participants, un texte inspiré de sa vie de femme racisée, qui fait entre état du racisme « ordinaire » dans sa vie quotidienne. Lorsque l’animateur demande aux autres participants ce qu’ils pensent de ce texte, chacun d’entre eux, simplement nommés par une lettre, glissent doucement sur le terrain du jugement et du conseil, en lieu et place d’évaluer la valeur littéraire du texte. Dévaluant, annihilant même, l’expérience, le vécu, et la vision de l’autrice, autant personnel qu’artistique. L’expérience de la domination par le déni, le dénigrement, issu du sentiment sous-jacent du dominant. Enfin, la dernière nouvelle, se passe dans un pays d’origine dans l’un de ces demandeurs d »asile, à Ugwuoba, une ville du sud du Nigeria, où une jeune femme enceinte découvre qu’elle attend des jumeaux. Rien de bien particulier si ce n’est que cette région du pays, la gémelité est considérée comme porte-malheur, la future mère se doute ainsi que ça va mal finir pour elle après l »avoir découvert. Encore une fois, la jeune femme ne maîtrise rien dans cette nouvelle : sa maternité lui est violemment arrachée par les hommes de son entourage, sous couvert de superstitions.
J’ai été intriguée par la place de chaque nouvelle, comme si l’on régressait dans le temps, depuis le centre de rétention en Irlande jusqu’au pays d’origine, le Nigeria : j’y vois comme les raisons pour comprendre la raison de la fuite ailleurs, comprendre la violence intrinsèque qui poursuit ces femmes, depuis leur origine jusqu’en Irlande....
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