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« Sans être différent des autres, je sortais d’un moule qui n’était pas homologué par la norme. On me reprochait de frayer avec la mort. »
Gamin, Julien Tuilery s’interrogeait sur la mort, sa meilleure amie.
Cela creusait un fossé avec le monde réel.
Sa mère morte, à 18 ans il fut poussé dehors par un père qui lui signifia que c’était sans retour.
Comme l’oiseau, profitant de la cage ouverte, il prit sa liberté à tire-d’aile quitte à en payer le prix fort.
« Je peins pour exorciser ma vie, je représente mes travers, mes pulsions un peu barrées, m’accuse-t-on souvent. Je défigure des guerriers violents, pétris des nus érotiques et charcute des portraits d’agonisants, mais, j’aborde surtout le thème de la mort… »
Tel est son portrait de peintre, pendant ses années de bohème.
Puis dix ans plus tard, il rencontre Sigismonde La Barre, jeune galeriste branchée « Art contemporain ».
Ils feront un bout de route ensemble.
Le succès arrivant, il va y plonger mais avant de s’y noyer il refera surface comme lui l’entend.
En effet ce succès fulgurant est bâti sur « le côté trash » de ses peintures, les acquéreurs n’y voient que spéculations et ne s’intéressent nullement à celui qui les a peintes ni au pourquoi.
En traînant son blues sous les ponts il trouve une population plus proche de son être que de son paraître.
La célébrité l’a transformé en objet que l’on s’arrache, tout ce qu’il exècre. Grande déstabilisation.
Et le piège se referme.
Même sentiment que lorsque j’ai lu pour la première fois L’étranger de Camus.
Comme Meursault, Julien Tuilery est sans filtre. Il ne se force pas à répondre aux codes sociaux, c’est sa force et sa faiblesse. Cela entraîne incompréhension, rejet etc.
Une question comme une antienne : « suis-je normal ? »
Une autre, comme son image déformée à la surface de l’eau est celle de la solitude que cela induit.
De façon à la fois très cache, mâtinée de poésie, Jack Boland nous raconte dès lors sa course pour amasser le non visible, le non palpable pour le quidam.
Le décompte s’enclenche car lui sait « qu’un jour, il tuera la Mort. »
Ne pourrait-on pas dire, que vu de l’extérieur, l’œil se pose et ne retient que ce qu’il ne comprend pas. C’est comme si le cerveau restreignait son champ de vision et l’œil son champ de compréhension en un cercle vicieux.
Un livre que chacun lira selon son vécu et son approche de la différence.
Heureusement l’écriture et les portraits cocasses offrent des bulles d’air à ce livre qui parle d’un homme broyé par le diktat de l’uniformisation et l’absence d’amour dès le départ.
C’est une plongée sans bouteille qui nous interroge jusqu’à Crève la fin.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 12 février 2020.
Emouvant, sensible, digne d’un génie évident, « Crève la fin » est un récit essentiel, grave. L’incipit « Inquiet d’une naissance, que l’on disant négligeable, je m’étais recherché jusque dans la conception de mon innocent embryon. » enclenche une histoire tourmentée, caustique, crissures sur une vitre givrée. Le style est époustouflant. Habitué à la valse grammaticale, aux notes relevées soyeuses d’un verbe qui se lie à la lumière sans crainte aucune. L’aérienne fusion avec les faits, les rebondissements, bien plus qu’un alliage dont on observe la naissance subrepticement « Crève la fin » est un récit sombre dont la beauté se love dans les courbes, les dires, ce ciselé qui annonce un pictural déchiré par un cutter gorgé de doutes. Nous sommes en plongée directe dans un thriller psychologique, une tragédie en trois temps. « -Quels sont vos peintres préférés, alors ? -Sautine, Menessier, Bacon, ceux qui vont plus loin que les autres, qui se dépossèdent de leur âme, je les adore… » Julien, le narrateur, est un peintre. Fragile, décalé, envoûté par la mort, ses toiles sont des lambeaux de son âme torturée. Kaléidoscope de toutes les angoisses des peintres dont les toiles sont des exutoires. Des corbeaux dans un champ où l’imaginaire croasse à en déchirer les parois d’un ciel apocalyptique. « Nomade migrateur, attifé clodo, accoutré de mes hardes fanées, j’arriverais par la rue de Turenne. A chaque pas, je me demandais ce que je fichais là, avec mes deux croûtes sous chaque bras. » Julien va tomber insidieusement dans un piège. L’histoire enfle, charrie telle une boue malsaine, les fragilités de Julien, ses névroses, ses obsessions ténébreuses. Enfermé dans ses psychoses, il va devenir une proie pour les autres, un mobile de destruction mentale. « Aujourd’hui, je suis certaine que tous les lexiques du monde, ne suffiraient pas à m’offrir les mots que je cherche pour exprimer mon dedans clandestin. -Toi aussi, t’es bouclée dans ce grand bazar ? Ce parc d’attraction pour âmes en vrilles. Dommage les murs…. » Julien est pris dans une embuscade. L’histoire est glaçante, bouleversante. Manichéenne, elle déforme ce spectral et encense l’humanité de cet homme ravagé. Ce Diogène des temps modernes dont on aime les traits déformés par cette folie sournoise et implacable. « J’aime bien ce final parce que je suis fou de folie, dont la mienne et qu’elle me fait décoller dans des univers qui me rassurent. Même si je ne parviens plus me déterminer, je sais que j’existe. Dans le peu qui fait de moi quelqu’un, même d’approximatif. » Ce récit ploie sous la gravité d’une rare contemporanéité. Elle peut déranger, faire peur à en perdre le souffle. C’est dans cette double lecture que « Crève la fin » s’élève. Les manipulations, les mensonges, les diktats d’un enfermement parabolique sont décriés. Les femmes sont machiavéliques. Sous des allures de soignantes, de maîtresses femmes, elles sont des monstres. « Elles cherchent des preuves contre toi, pour que le directeur te garde ici ! « Mature, le pictural de Jack Boland dévore les conséquences, foudroie les apparences. « Tout à l’heure, j’irai dans le parc, ce lieu salvateur est devenu nécessaire à ma survie. Il y aura aussi Xéno. - Tiens ! salut ! Je lui dirai ça au jardinier. On parlera des jardins de mousse du Japon, des sequoias d’Amérique, aussi de cet imago de sphinx qui dort sous la branche d’un aulne, on parlera de trucs à nous, nous aurons des respirations. » C’est ici le point d’arrêt. L’instant de clarté, le bruissement d’une plénitude qui ne demande qu’à éclore. La vie qui survient. Un tableau de maître en devenir, un espoir. Que va-t-il se passer ? L’instant de vérité est à portée de vue. Jack Boland sait peindre. L’art en son summum épuré, la justesse, la finesse subtile et délicate. Les torpeurs et les doutes, les trahisons, les gouffres des différences, les rejets d’autrui. Il emblématise la vie en rouge sang, bleu nuit, en larmes et en craintes. L’inaltérable dévore les parois de ses inspirations en paroxysme de sincérité. « Autoportrait aux yeux bleus » « A vendre- Vingt-deux décembre. » « Crier la fin » est une métaphore puissante et bénéfique. La folie, un abîme. La lucidité est criante. L’intelligence en posture d’un garde-à-vous légitime. « Crève la fin » est une satire, une tragédie inoubliable. Un récit dont on ne sort pas indemne. Une pure merveille à déposer dans les musées paraboliques. (A noter une première de couverture peinte par l’auteur lui-même en autoportrait subjectif » Publié par Les majeures Editions La Trace.
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