Certains livres sont plus compliqués à chroniquer que d’autres, soit parce qu’ils sont tellement excellents qu’on ne trouve pas les mots justes pour exprimer notre emballement, pour rendre hommage à ce coup de cœur intersidéral, soit parce qu’ils sont tellement mauvais qu’on n’ose pas trop le dire de peur de froisser l’auteur (parce que nous ne sommes pas des êtres sans cœur, ça fait toujours de la peine quand on a tellement peu apprécié un livre qu’on n’y trouve aucun point positif) … soit parce qu’on craint de trop en dévoiler et de gâcher la surprise du potentiel lecteur. Et c’est indiscutablement dans cette troisième catégorie que se situe ce roman : c’est typiquement le genre de récit dans lequel il faut se plonger sans rien savoir à son sujet, sans savoir à quoi l’on doit s’attendre. Ce n’est qu’ainsi qu’on en profite vraiment … Mais cela rend le travail du chroniqueur particulièrement difficile : l’équilibre entre le « trop » et le « trop peu » est particulièrement délicat à trouver. Comment en dire suffisamment pour convaincre le potentiel lecteur de se laisser tenter, mais suffisamment peu pour qu’il puisse le lire dans les meilleures conditions possibles, c’est-à-dire en y allant presque à l’aveuglette, sans savoir exactement dans quoi il s’embarque ? Je ne suis pas certaine de réussir à trouver le juste milieu, mais il faut bien se lancer un jour ou l’autre, alors allons-y !
April, Ezra, Madison, Ethan, Kaysee et Chris. Quelques années auparavant, ils formaient encore une bande d’amis que tous, eux les premiers, imaginaient inséparable. Et pourtant … Il aura suffi d’une seule après-midi, d’une simple fête d’anniversaire à l’issue tragique, pour les séparer. Les années ont passées, mais les souvenirs restent bien vivaces … les peines et les culpabilités également. Et voilà qu’un beau jour, sans crier gare, April revient, totalement métamorphosée, suivie de Chris, quant à lui inchangé. Pour la première fois depuis ce fameux jour où tout a basculé, ce jour que nul n’a oublié même si personne n’ose plus en parler, les voici à nouveau tous les six réunis, comme au bon vieux temps. Comme si la vie leur donnait une nouvelle chance, la possibilité de tirer définitivement un trait sur le passé pour entrer sereinement dans leur vie d’adultes … Mais avant même qu’ils ne puissent saisir cette opportunité inattendue et inespérée, voici qu’un illustre inconnu leur envoie à chacun un message, à première vue complétement dénué de sens, mais qui ne laisse aucune place au doute : qui que soit ce mystérieux expéditeur, il connait leurs secrets les plus intimes … mais surtout les plus inavouables. Parviendront-ils à le démasquer avant qu’il ne soit trop tard ? Et surtout, parviendront-ils à se faire mutuellement confiance face à l’adversité ?
Tout commence comme le premier épisode d’une série pour adolescent : une nouvelle année scolaire débute, similaire à toutes celles qui se sont enchainées depuis le terrible jour de rentrée en maternelle … Jusqu’à ce que surgisse l’imprévu : le retour inopiné d’une amie d’enfance dont nul n’avait plus de nouvelles depuis son tragique départ, et avec elle le retour inévitable des souvenirs et des sentiments d’antan. Et bien sûr, les questions fusent : pourquoi est-elle revenue ? quelles sont ses intentions ? A travers le désaccord d’Ethan et d’Ezra, nos deux premiers narrateurs, nous comprenons que quelque chose ne tourne pas rond, qu’il s’est passé quelque chose de terrible, quelque chose dont ils sont au moins en partie responsables … Et ça y est, nous passons de l’ambiance « drama teenage » à l’ambiance, autrement plus captivante, « thriller ». Et cette ambiance ne cessera plus de s’affirmer au fil des chapitres, tandis que se reforme cette bande d’anciens amis qui ne savent s’ils doivent se réjouir ou non de ses retrouvailles. Il faut dire qu’ils ont tous bien changés, depuis que le groupe a éclaté : la vie n’a épargné aucun d’entre eux, et aucun n’en est sorti totalement indemne. Mais voici qu’un nouveau malheur leur tombe dessus : ces mystérieux messages, qui semblent envoyés au petit hasard la chance, mais qui prouvent que l’expéditeur les connait tous. Très bien. Suffisamment bien pour qu’ils craignent pour leur secrets … et même pour leur vie et celle de ceux qui leur sont chers.
Commence alors un roman-choral captivant, mais surtout étourdissant : nous ne cessons de changer de narrateur, de point de vue, mais aussi de temporalité, avec de nombreux retours en arrière ou anticipation d’une scène à venir … Si cela rend le récit autrement plus dynamique qu’une narration parfaitement linéaire, il faut tout de même avouer que cela rend parfaitement l’intrigue un peu (trop) confuse : il faudrait presque tenir un petit carnet de bord à côté pour remettre les événements dans le bon ordre. Ça part d’une excellente idée, et c’est relativement bien contrôlé, mais l’autrice a peut-être un tantinet abusé de ce procédé … Mais comme c’est un premier roman, je lui pardonne aisément : quand on veut bien faire, on en fait parfois un petit peu trop. Et malgré tout, il faut bien reconnaitre que fort bien mené : on se laisse véritablement « prendre au jeu », on se laisse entrainer par ces incessants va-et-vient entre les différents protagonistes, on essaye de rassembler toutes les pièces du puzzle pour tenter de le reconstituer. Mais nous le sentons bien : quelque chose nous échappe, sans que nous ne puissions mettre le doigt dessus. C’est comme si nous cherchions dans la mauvaise direction, mais impossible de retrouver le nord. Et la tension monte, doucement mais surement, le rythme s’accélère, inéluctablement, tandis que nous nous rapprochons toujours plus de la fin du roman, sans que rien ne semble vouloir se décanter …
Il n’y a pas à dire, c’est absolument passionnant. Et cela d’autant plus que derrière ce suspense de plus en plus intenable, derrière ce mystère assourdissant, se cache également une fresque aussi subtile que terrible : celle de la frontière insaisissable entre l’adolescence et l’âge adulte. Ce moment où tout peut arriver, en bien comme en mal, ce moment où l’on aspire à un grand changement tout en souhaitant que rien ne change. Ce moment aussi où le passé ressurgit brutalement, revient nous hanter, comme une épreuve à surmonter pour se libérer de ce que l’on a été pour pouvoir enfin devenir celui qu’on est amené à être, comme s’il fallait faire la paix avec hier pour ouvrir la porte à demain. Ce moment enfin où les rêves s’effilochent pour laisser place à la dure réalité de la vie, cette vie qui n’épargne rien à personne et qui semble prendre un malin plaisir à s’acharner dès qu’on relâche la garde … C’est finalement là que nous nous sentons vraiment en empathie avec les différents personnages : non pas lorsqu’ils sont en prise avec ce mystérieux expéditeur, mais bien quand ils font face à leurs démons intérieurs, à leurs peurs les plus profondes. Là, ils sont touchants, bien plus que lorsqu’ils échafaudent des plans improbables pour démasquer et arrêter cet inconnu … Et cela d’autant plus que lorsque l’identité de ce dernier est enfin dévoilé, le lecteur ne peut s’empêcher d’être perplexe. C’est totalement inattendu et donc surprenant, certes, mais c’est un peu … trop. Trop parachuté de nulle part, et trop mélodramatique également : sur le coup, j’aurai préféré quelque chose de plus « classique ».
En bref, vous l’aurez bien compris : je ne savais absolument pas à quoi je devais m’attendre au moment de me plonger dans ce gros pavé de plus de cinq-cents pages, et j’ai globalement été très agréablement surprise ! Ce n’est pas un coup de cœur, en grande partie à cause de la révélation finale qui vient à mes yeux « gâcher » tout ce qui précédait, et aussi parce que je me suis plus d’une fois sentie un tantinet perdue face à la construction atypique de la narration, mais ce fut malgré tout un roman très sympathique, que je conseille fort volontiers et que je relirai probablement dans quelques années ! Moi qui craignais, au début, de me retrouver dans un mauvais remake de séries télévisées pour adolescents, où tout tourne inévitablement autour des histoires de cœur (et bien trop souvent d’alcool et de sexe, aussi), je suis heureuse que le côté « thriller psychologique » prenne progressivement le dessus : on n’échappe pas à quelques scènes langoureuses à donner envie de jeter le livre par la fenêtre (oui, je peux être violente face à ces scènes horripilantes), mais ça reste tout de même au second plan, fort heureusement. En tout cas, une chose est sûre et certaine : l’autrice a un très bel avenir devant elle, elle sait vraiment comment mener son lecteur par le bout du nez, comment l’amener à sauter aux mauvaises conclusions pour mieux le surprendre. Et ça, ça contrebalance tous les petits menus défauts du texte qui peuvent chagriner un tantinet le lecteur exigeant !
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