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Fils du grand journaliste d’investigation Pierre Péan, Grégor Péan a longtemps publié ses livres sous le pseudo Jean Grégor. Ce n’est que depuis le décès paternel, et donc pour la seconde fois, qu’il signe ses ouvrages de son nom véritable. Ce chef de piste dans l’aviation s’est tant intéressé à l’improbable destin du cosmonaute Youri Gagarine qu’il nous en propose une biographie romancée, en tout point fascinante.
En effet, quelle incroyable destinée que celle de ce fils de modestes paysans du centre de l’Union Soviétique. Pilote amateur, il abandonne sa formation de technicien du machinisme agricole pour intégrer une école de pilotage militaire, puis, son diplôme de pilote de chasse en poche, se retrouve affecté à une base aérienne dans la région de Mourmansk, au nord du cercle Arctique. Il y mène une vie rude avec sa jeune épouse, lorsqu’il est sélectionné pour un « entraînement spécial » dont il ignore encore qu’il fera de lui, « venu d’un village sans eau courante, né en quelque sorte au Moyen Âge », le premier être humain à effectuer un vol spatial. On est alors en 1961. Cet homme venu de rien se retrouve propulsé au rang de demi-dieu, héros d’une nation soudain galvanisée par un exploit qui, en pleine guerre froide, vient sévèrement humilier les Américains.
Au-delà du destin individuel de Gagarine, c’est toute l’histoire de la conquête spatiale soviétique au tournant des années 1960 qui se profile dans ces pages : pas seulement la prouesse technologique incarnée par l’ingénieur et fondateur du programme spatial Sergueï Korolev, mais le défi relevé par des institutions minées par les dysfonctionnements, la paranoïa et la corruption. « Dans la tête de Staline, être le meilleur, être une référence, c’était ramener la couverture à soi, s’éloigner de l’idée même du communisme. » Aux côtés du seul personnage fictif du roman, Marina Socovna, une bureaucrate devenue la conseillère de Khrouchtchev sur ce projet, l’on assiste alors aux manœuvres politiques, entre processus de déstalinisation et réformes intérieures, entreprises par « Nikita » : « sans ce miracle du premier homme dans l’espace, le communisme aurait pu mourir de désespoir. Avec ce petit gars, ils ont compris que toutes les pertes, toute cette tristesse ont été dépassées. Le communisme vient d’en reprendre pour trente ans ! »
Mais comment peut-on garder les pieds sur terre après un tel exploit ? Surtout lorsque la propagande, loin des vôtres et du métier qui vous tient à coeur, vous réduit à la fonction de marionnette enrôlée dans une tournée sans fin de représentation publique ? « Lorsqu’on ne se prépare plus à être le meilleur », « on se sent redevenir banal, et cette banalité a un goût de médiocrité. » Pour Gagarine, la suite de l’histoire aura le goût de l’alcool et des femmes, avant de s’achever tragiquement dans le crash demeuré mystérieux d’un MIG-15. « L’ouvrier communiste ne pouvait pas avoir pour modèle un trublion alcoolique, amateur de voitures de sport. » De la grandeur à la décadence, sa mort à trente-quatre ans a fait l’objet des rumeurs les plus folles.
Entre intimité d’un homme au destin hors du commun et immersion historique en pleine conquête spatiale lors de la guerre froide, ce roman dont la fluidité d’écriture fait oublier le travail de documentation qui la sous-tend s’avère une lecture aussi vivante que passionnante. Il ne faisait décidément pas bon se faire remarquer en période soviétique !
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