"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«- Allô? Allô? Anne? C'est vous? Oui, je reconnais votre voix... Elle n'est plus la même, plus grave, moins enfantine... Mais tout ce temps qui a passé... Je vous ai déjà appelée il y a une demi-heure, il y avait une machine, un répondeur, un truc, je n'ai pas laissé de message. Juste avant, j'avais entendu par hasard votre intervention à la radio. J'étais si stupéfait! Je conduisais, j'ai stoppé net et me suis arrêté dans le premier café. Un annuaire et vlan je vous appelle. J'ai repris la voiture et j'étais si ému que j'ai failli emboutir un arbre! Vous entendre, à la radio tant d'années après, vous ne pouvez imaginer le choc! Et là, juste dans la façon dont vous avez dit "allô", je vous ai reconnue!
- Père Deau!»
Le dernier livre de l'auteure est une vraie réussite.
Suite à une émission dans laquelle Anne WIAZEMSKY présnte un de ses romans elle reçois un appel téléphonique de son ancien professeur français , le Père Deau quand elle était avec sa mère et son frère à Caracas.
Tous les deux sont émus après toutes ces années sans nouvelles ........ ils ignoraient tout de leur vie respective , Anne habitant Paris et le Père habitant près de Bordeaux.
Ils décident de se revoir et nouent une superbe amitié.
Un roman plein de souvenirs et de regrets mais un moment de lecture très prenant.
Ce n'est plus l'actrice et la compagne de Jean Luc Godard qui parle dans ce nouvel opus d'Anne Wiazemsky mais beaucoup plus la petite fille de François Mauriac. L'ombre du géant de la littérature française plane sur ces mémoires sélectives par les lieux et les atmosphères. Mais le Saint homme du titre n'est pas ce grand-père lui-même béatifié par les éditions Gallimard. Il s'agit du prêtre, confesseur, ami et souvent directeur de conscience de la romancière qui lui rend un bien bel hommage. A une époque où les prêtres sont plus souvent au centre de sombres affaires de pédophilie, Anne Wiazemsky met en lumière ce prêtre idéal qui a sans doute eu plus d'influence sur son parcours et ses rapports aux autres que certains imams de la Nouvelle Vague. L'écriture est belle et sans être passionnant ce roman nous captive tout de même, nettoyé de tout aspect people que pouvait avoir les précédents. Digne héritière.
J’avais lu un livre d’Anne Wiazemsky, il y a fort longtemps. Le titre ? Le sujet ? Oubliés. Je me souviens que ce livre m’avait plu. Je n’avais rien lu d’elle depuis, mais quelque chose m’était resté de cette première rencontre déjà ancienne. Un ton, une voix, une présence. J’avais très envie de reprendre contact comme on dit. J’ai donc profité de cette nouvelle publication pour le faire. Je savais quelques petites choses au sujet d’Anne Wiazemsky : que son grand-père s’appelait François Mauriac, que la propriété familiale, Malagar, se situait près de Bordeaux, que le père d’Anne Wiazemsky était un prince russe et qu’elle avait été la compagne de Jean- Luc Godard.
J’avais croisé l’auteur au Salon du Livre Paris 2017, j’avais pensé à son récit qui m’attendait et que je n’avais pas encore lu. Voilà où en était l’état de « mes connaissances » lorsque j’ai ouvert Un saint homme.
Un saint homme…
Il est en effet parfois des occasions heureuses : le 2 février 1988, alors que sur les ondes de France Inter, Anne Wiazemsky vient de présenter son premier roman Des filles bien élevées, un homme l’appelle. Elle le reconnaît immédiatement, c’est le père Deau. Il fut son professeur de français et de latin au Colegio Francia de Caracas. Anne avait quatorze ans, lui vingt-cinq. Leur relation est immédiatement très forte : l’homme semble fasciné par cette jeune fille avec laquelle il aime discuter. Il aime « son cœur ardent et impétueux », sa force de caractère, sa maturité. Il la regarde composer ses rédactions et la décrit sur plusieurs feuillets alors qu’elle travaille. Elle est déjà celle qu’il nomme « un chef-d’œuvre du Seigneur » ou bien « l’enfant de mon cœur ».
Puis, Anne quitte brutalement le Vénézuela : le père Deau lui écrit mais les réponses d’Anne se font rares. Elle vit autre chose à Paris. Très peiné, il finit par se dire qu’ils sont peut-être trop différents pour se retrouver. Il part en mission au Cameroun où il partage la pauvreté des gens qu’il rencontre. Lors d’une séance de cinéma en plein air, il découvre sur le drap qui tient lieu d’écran la jeune Anne dans le film de Robert Bresson : Au hasard Balthazar. C’est à Bordeaux où il est muté ensuite qu’il se renseignera pour savoir ce qu’est devenue Anne. Mais encore une fois, il se dit que des vies si différentes ne peuvent se rejoindre. Or, ce 2 février 1988, il a Anne au bout du fil et compte bien la revoir !
Ils se retrouvent à Malagar où il lui avoue être allé plusieurs fois : « Je pensais plus à vous qu’à lui [François Mauriac] » dit-il à Anne. « Je m’en veux de vous avoir abandonné » lui avoue-t-elle bouleversée. Le père Deau l’interroge sur sa famille, ses activités d’écrivain mais ne lui pose aucune question sur son passé.
Ils se revoient. Il est toujours là, présent, fidèle, disponible pour elle. Il ne lui refuse jamais rien.
Lors des conférences d’Anne à la libraire Mollat, il est toujours assis devant et la défend avec ferveur contre ceux qui l’accusent de dévoiler des secrets de famille. Il avoue même avec fierté qu’il est peut-être à l’origine de son goût pour l’écriture…
Leurs retrouvailles sont toujours un moment de grand bonheur. Et le père Deau ne peut que s’exclamer « Déjà ? » lorsqu’il la voit repartir vers ses occupations parisiennes.
J’avoue que lors de cette lecture, je cédais bien sûr au plaisir de retrouver Anne Wiazemsky, cette famille hors du commun, la propriété de Malagar, j’aimais les considérations de l’auteur sur l’écriture, l’amour, le temps, la solitude, la douleur… Le tout empreint d’une certaine tristesse et d’une grande pudeur.
Mais souvent, j’avais le sentiment que les mots ne disaient pas l’essentiel, que cet essentiel, il fallait le chercher, qu’il était ailleurs, dans les silences peut-être…
Je poursuivais ma lecture toujours intriguée par cette relation si forte, cet attachement presque démesuré d’un homme d’Église pour une jeune fille puis pour une femme qui ne croit plus depuis longtemps, qui fréquente des hommes tout en voulant protéger son indépendance, une femme dont il aurait pu condamner le mode de vie, le travail, les engagements. Ce qu’il ne fit jamais.
Et soudain, j’eus comme un éblouissement : cet « essentiel » que je cherchais était là devant moi, bien visible : il l’aimait, tout simplement. Ne voyez rien de condamnable derrière ces mots : rien ne peut les condamner. Ils sont purs, entiers et beaux. Il l’aimait d’amour, me direz-vous ? Aime-t-on d’autre chose ?
Je compris enfin que je venais de lire une magnifique histoire d’amour, un don de soi à l’autre, un sentiment que l’on porte toute sa vie au fond de son cœur, quoi qu’il arrive…
C’est peut-être une lecture, ma lecture, mais c’est ce que ce très beau texte m’a livré de cet homme. Un homme qui aimait, infiniment.
Un saint homme.
Lire au lit : http://lireaulit.blogspot.fr/
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