"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Livre inspiré d'une histoire vraie, Pleine terre est un roman de terroir contemporain levant le voile sur un éleveur qui n'a pas rempli toutes ses obligations administratives et se retrouve pourchassé par les gendarmes comme un criminel. Quel enchaînement terrible a fini par l'entraîner dans une cavale ? Inspiré de ce que l'on appelle à tort, un « fait divers », ce roman psychologique, politique et lyrique alerte sur l'effondrement du monde paysan : il dénonce l'énorme poids administratif et les logiques productivistes qui dégradent notre rapport au vivant et pointe la fragilité des agriculteurs face au chaos de nos sociétés contemporaines.
Ce roman a reçu le Prix du livre engagé pour la planète Mouans-Sartoux 2021, le prix du roman Villeneuve-sur-Lot 2021 et fut en 2022 dans la sélection finale du Prix Naissance d'une oeuvre ainsi que celle du Prix Jean Giono.
Depuis l’été 2015, tout est devenu plus difficile …. Fatigué par les (trop) récurrentes tâches administratives (toujours plus urgentes les unes que les autres …) Jacques Bonhomme n’a pas déclaré à temps (dans les sept jours …) la naissance de ses derniers veaux. Une sorte de « burn out » : il en a eu marre de toute cette paperasserie, qui semble ne vouloir que la chute du paysan ! Et quand un contrôleur zélé se présente dans une ferme, ça peut très vite partir en vrille ! … Seulement voilà : on ne tient pas tête à la puissante administration française ! Et cet instant de rébellion, Jacques Bonhomme va le payer très cher ! Sans bruit, la « machine à broyer » s’est lentement mise en place … Alors, notre malheureux éleveur va choisir la fuite …
Avec un talent fou (un style percutant et des mots poignants) Corinne Royer raconte les neuf jours de cavale d’un paysan désespéré. Récolte les témoignages de voisins et amis (Marie-Ange et Arnaud) de Pierre D (un contrôleur) du vieux Baptiste (qui travaille encore à soixante-douze ans) et de sa propre soeur.
Nous nous doutons bien, nous autres urbains (loin du quotidien des agriculteurs) que ça ne doit pas être rose tous les jours … Ce magnifique roman – librement inspiré d’une réelle (et récente) tragédie – (celle d’un certain Jérôme Laronze, dont – à ma grande honte – je ne me souviens pas avoir entendu parler …) nous ouvre un peu plus les yeux sur la totale ineptie des interminables (et souvent complexes) dossiers administratifs à laquelle sont confrontés des hommes et des femmes qui ont déjà des horaires à rallonge sur leurs exploitations …
Un récit particulièrement bluffant ! Un gros coup de coeur et une immense empathie pour le lourd tribut auquel doit faire face le monde agricole !
Une première de couverture, constituée d’ une ambiance brumeuse et sombre, qui exprime la solitude et la terre ; qui d’ailleurs m’a fait penser au tableau de Jean-François Millet : L’Angélus. Un funeste voyage dans les terres agricoles, dans le monde des paysans ; des enracinés à leur héritage et parfois depuis des générations ; un monde qui fait vivre notamment les citadins ; qui ne mérite pas le mépris de nombreux politiques qui n’écoutent leur sincères revendications qu’en période électorale !
Difficile pour eux de s’en sortir avec de petites parcelles, il faut donc acheter de nouvelles parcelles et en corollaire investir dans le matériel adéquat au grand bonheur des banques ; sans compter les multiples tracasseries administratives sans cesse en progression – la traçabilité, les normes de la PAC – ; la course au rendement. Une spirale sans fin, qui grève l’avenir de l’exploitation ; fournir des heures de travail, essayer de se rémunérer, comment dans ce cas être étonné de la révolte des agriculteurs, un mal profond et pourtant un secteur indispensable à tous.
Or donc, Jacques Bonhomme, agriculteur solitaire de Saône-et-Loire, éleveur de vaches va devenir un rebelle. Il va devenir un homme en fuite, un homme traqué. Et pourquoi ? Tout simplement, il a oublié de déclarer des naissances de son cheptel, largement suffisant pour l’administration, pour commencer les pénalités, les contraintes, les amendes. Mais Jacques se sent dépouillé de son honneur et ainsi ces sanctions vont laisser place à la rébellion et le transformer en fugitif...
Ce roman inspiré d’une histoire vraie, celle de Jérôme Laronze, en mai 2017, avec trois ans de harcèlement administratif et neuf jours de cavale. Un sentiment partagé par nombre d’exploitants, car le refus de soumission et devant l’arrogance des autorités déconnectées du réel, ne peut qu’aboutir à des crises violentes, soit à des extrémités d’abandon et de fuite.
Corinne Royer délivre un message primordial, avec cet homme fier de sa descendance, attaché à sa terre, qui ne comprend pas l’acharnement du pouvoir avec ses directives ; elle donne la voix à son entourage, expliquer le contexte, la fierté pour eux de bien faire, mais aussi et surtout d’être reconnu. Un récit ? Un document ? L’auteure instille le désarroi de ces hommes et de ces femmes face à notre insolence d’ignorer leur sempiternel combat ! Un récit bouleversant devant l’injustice, l’ignorance et la bêtise des hommes, qui jamais ne cessera...
Pleine terre, souligne notre abandon de ce secteur. « C’est le peuple des paysans en rang serré qui refuse la servitude et l’humiliation. » Un coup de cœur.
Tout part d’un fait réel, il s’agit de l’affaire Laronze, du nom de cet éleveur bio de Saône et Loire dont Florence Aubenas a retracé l’histoire tragique dans « Le Monde ».
Dans le roman, le paysan se nomme Jacques Bonhomme. On ne le trouve plus auprès de ses bêtes, il est en cavale.
En proie aux tracasseries administratives, acculé par les contraintes financières, il finit par perdre pied. Pourtant, il l’aime son métier qu’il tient de son père et de son grand-père. D’ailleurs, il ne sait rien faire d’autre que de s’occuper de ses bêtes, les élever du mieux possible. Ce que ne peut comprendre une administration tatillonne et aveugle qui finit par faire du harcèlement. Comment comprendre ça lorsque vous travaillez la terre ? Vous faites de votre mieux face aux aléas du métier mais, au premier manquement, on a vite fait de vous cataloguer comme dangereux et malsain.
« Ce ne sont pas les cinq mille euros d’amande ni les trois mois de prison avec sursis pour mauvaise gestion d’un troupeau qui l’ont fait basculer. Non, c’est sa conviction intime d’être devenu un mauvais paysan. »
Roman polyphonique où se mêlent d’autres voix comme celle de la sœur de Jacques. Les témoignages alternent avec les sensations intimes, les souvenirs du paysan dont les sentiments oscillent entre colère et abattement.
Très bien documenté ce roman mêle habilement la fiction à la réalité, hélas, dramatique du monde paysan. Au-delà des cultures et des pâturages et de l’effondrement du monde agricole, il s’agit bien d’un dysfonctionnement de notre société que Corinne Royer pointe du doigt. Et si on se posait des questions sur la surconsommation qui entraine la surproduction (ou le contraire ? on ne sait plus très bien) et puis l’atteinte à l’environnement avec ses ressources puisées jusqu’à plus soif et la pollution qui en découle. Oui, il y a de quoi se poser des tas de question avec ce roman poil à gratter.
Corinne Royer a su construire un portrait émouvant, et empathique d’un paysan à la dérive et son écriture limpide, évocatrice, nous emporte
Le roman se termine par une lettre émouvante de Jacques bonhomme adressée à ses frères de terre
« Je m’appelle Jacques bonhomme mais je ne suis pas l’insurgé qu’on présente dans les journaux. Je n’ai insulté ni blessé personne, je n’ai porté atteinte à aucun honneur, à aucune vie. Je ne suis coupable d’aucun autre crime que celui de vouloir vivre en paix, la sainte et foutue paix à laquelle chaque homme aspire et devrait pouvoir accéder sans obstacle. »
Jacques Bonhomme est en fuite. Tueur ? Voleur ? Rien de tout cela. Jacques est agriculteur et il a dit non.
Non aux contrôles administratifs, aux primes à l'hectare, aux cotisations, aux crédits d'impôts, au plan de compétitivité, aux rendements, à l'agriculture intensive, aux normes de qualité, à la PAC, à l'aberration d'un système qui élimine les paysans et leur fait perdre le sens premier du métier. Non au cercle vicieux de la bureaucratie qui sacrifie sur l'autel de la productivité et de la traçabilité toute une profession.
En s'inspirant d'une histoire vraie, l'autrice raconte les 9 jours de cavales de Jacques Bonhomme, entrecoupés de chapitres qui donnent la parole à ses proches.
Symbole d'une jacquerie moderne, le personnage de Corinne Royer est un résistant, un convaincu, un passionné épuisé. Un homme humilié qui a choisi la fuite dans une situation où ses amis n'ont eu d'autres solutions que le suicide.
Ce roman, c'est le contraire d'un roman qui fait du bien. Dramatique, bouleversant. Entre la force des faits et la force de la langue, c'est un coup de poing avec un final éprouvant.
Si au départ j'ai noté des passages, il a bien fallu que je m'arrête en me rendant compte que j'allais recopier toutes les pages.
« Pleine terre » n'est pas simplement un état des lieux du monde agricole, je crois que c'est un livre politique. Par conséquent, on peut ne pas être totalement d'accord avec ce qui est dit mais deux choses peuvent faire consensus: le monde agricole souffre et Corinne Royer sait l'écrire
Dans l’habitacle de sa vieille Volvo, au milieu des arbres ou au cœur de la clairière de son adolescence, Jacques Bonhomme cherche à retrouver ce qui l’anime, ce qui fait de lui un homme. Les gendarmes le cherchent et l’attendent depuis 9 jours. Ces ombres veulent le faire passer pour ce qu’il n’est pas : un fou à enfermer, un homme violent qui court à l’affrontement… Il n’est pourtant qu’un simple paysan, à qui on a tout pris, qu’on a mis plus bas que terre et qu’on veut faire taire…
Pleine terre est un roman qui remue. Qu’il s’agisse de la force de son histoire, de l’humanité de son écriture, de son attachement à une dure réalité ou aux regards émouvants qui le ponctuent, c’est un roman qui vous prend au ventre, vous enserre et ne vous lâche plus.
Corinne Royer signe ici un récit tout aussi dur que touchant, aussi lumineux que sombre, aussi doux qu’effrayant… Elle nous offre les derniers jours de Jacques Bonhomme, un paysan voué à sa terre, ses bêtes, sa ferme. Un agriculteur écrasé par une administration lourde et sans âme. Un homme qui perd sa dignité et le sens de son combat quand il se voit arracher tout ce qu’il possède.
La voix des voisins, des amis de longue date, des sœurs, retentit au milieu de ce chaos. Elle explique, elle raisonne, elle soutient et cherche à apaiser. Mais elle est bien trop fragile pour stopper la machine terrible qui est en marche. Jacques Bonhomme ne peut plus reculer…
C’est en homme à genoux, démuni, dépouillé, qu’il s’enfuit de sa ferme. C’est en homme debout, libre et digne qu’il quittera le monde. Ce monde dans lequel il ne reconnaissait plus les valeurs qu’il chérissait : une agriculture juste, à l’écoute et où chacun trouve sa place et puise ses forces…
Un éleveur qui n’a pas rempli toutes ses obligations administratives se retrouve pourchassé par les gendarmes comme un criminel. Quel enchaînement terrible a fini par l’entraîner dans cette cavale ? Inspiré d’un fait divers récent, ce roman psychologique, politique et lyrique alerte sur l’effondrement du monde paysan : il dénonce les logiques productivistes qui dégradent notre rapport au vivant et pointe la fragilité des agriculteurs face au chaos de nos sociétés contemporaines.
Lecture en cours. Il semble que dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, le petit paysan est condamné alors que c'est lui qui respecte sans doute le mieux la terre, la nature, les animaux et ses contemporains en essayant de proposer des produits de qualité mais cela ne rapporte pas assez aux grands consortiums de l'agro-alimentaire.
Le système les broient allègrement en les poussant au désespoir, à la ruine, au suicide....
Entendez-vous l’hallali du monde paysan !
Le chant du coq pour réveil, la porte de la ferme reste ouverte, à l’intérieur les étagères croulent sous les livres, les volets bleus pour seule lueur.
Les champs où les vaches attendent les pis gonflés.
Il court droit devant lui, sa carcasse de colosse se déploie, ses muscles déforment le blouson, il avale l’air à grande goulée.
Droit devant lui, s’enfoncer dans la forêt amie, et protectrice, celle dont les murmures apaisent ses maux.
Laisser derrière soi la folie des hommes, ceux qui n’ont jamais planté une salade ni trait une vache et qui décide de tout, de votre travail et de votre santé mentale.
Ceux qui sont habilités à tuer, en toute impunité, toute une population, celle qui a fondé la France, les paysans.
Cet état dont on hérite.
« Il était l’unique représentant de la gent masculine sur une lignée de trois enfants. Au sein d’une famille où la vocation d’agriculteur se transmettait comme une providence… »
Jacques Bonhomme, ce colosse, qui comme le beau brocard qui le regarde courir sur son territoire, a l’allure fière et décidée, le cœur cogne contre les parois de son large thorax, sa peau exsude une odeur âcre, presque animale, puisqu’il en est réduit à cela, vivre comme un animal aux abois. Le brocard n’a pas peur de lui il le reconnait comme un frère en danger.
J’ai lu ce livre en apnée, la respiration bloquée et les yeux noyés. C’est un monde que je connais, et l’humanité mise dans ce texte est juste exceptionnelle. Elle nous fait vivre ce drame de l’intérieur.
Un drame qui nous concerne tous.
En narrant la cavale de Jacques et en alternant le récit des voisins de ce petit village, le lecteur a une vue au plus près de ce qui se passe dans ce monde rural.
Un monde qui ne demande rien d’autre que faire son métier et bien le faire.
Un monde écrasé, comme une fourmilière par un coup de bottes. Sans en connaitre la richesse.
Les voisins et les sœurs racontent la droiture de Jacques, l’entraide, la fierté de ce paysan, sa culture aussi pas seulement celle de la terre. Celle puisée dans les livres.
Ils racontent les tracasseries, le harcèlement, toujours, encore et encore, sans une once d’humanité ni envers l’homme et encore moins avec le cheptel. C’est juste une infamie.
Ils racontent le monde rural et cet attachement viscéral à la terre.
Corinne Royer de sa belle écriture nous raconte un drame (inspiré de la réalité) avec des mots forts mais elle nous crie la vie de la nature et de ceux qui contribuent à la préserver, à garder l’essence de ce qu’est la France.
Les paysans meurent ce ne sont pas seulement des hommes qui meurent, c’est la mort de tous, qui est bien entamée, avec la perte de goût, de valeurs, de sens.
Parlons-en du sens de la vie, alors que le monde marche sur la tête avec nos silences qui servent d’acquiescement.
C’est notre tombe que nous creusons.
Un livre qui a une force inouïe, les mots coulent dans nos veines, nous broient le cœur et nous essorent l’âme.
La beauté de l’écriture est aussi limpide que l’eau de la rivière nimbée par le soleil.
Je referme ce livre avec dans les oreilles le meuglement long et désespéré de ces limousines dans leur pré.
« Cinq bêtes se débattaient au fond de la rivière. Les autres, encore debout, les piétinaient pour tenter de s’extraire des eaux. Les vociférations des trois agents ne faisaient qu’entraîner davantage de panique. Jacques a parlé aux bêtes, calmement, Tay-Tay-Tay, du calme… »
De longs frissons pour signifier cette onde de chocs.
©Chantal Lafon
Le voilà. Mon premier coup de massue de cette rentrée littéraire qui semble bruisser de talent, mon premier roman de cette auteure que je découvre. Je l’ai pris en pleine tête, en plein ventre, en plein cœur, et c’est lui qui m’a cueillie : le magnifique Pleine terre, de Corinne Royer.
Je l’ai su dès les premières pages que ça allait faire mal, que le sillon que ce roman-là, que ces mots-là, allaient creuser au fond de mes tripes serait profond, durable, tenace et douloureux. Je l’ai su parce que, dès les premières lignes, derrière ce titre de chapitre qui ne laissait aucun doute—Cavale Jour 1--, j’ai senti monter l’odeur de la terre, de la forêt et du brouillard. L’odeur du malheur aussi. Rien n’arrêtera le cours de la vieille qui moissonne le bois mort de ses doigts gourds, ni rien ni personne, car Bonhomme va mourir de mort naturelle…Sitôt connu le nom de son personnage principal, Jacques Bonhomme, choisi comme un symbole, choisi en toute conscience pour mieux contenir le souvenir de tant d’autres, ce sont les paroles de cette vieille chanson de Georges Brassens qui se sont imposées à moi, accompagnant ma lecture. Sauf que la « mort naturelle » semble ne plus avoir cours dans ces campagnes où même la vie ne l’est plus, où des logiques venues d’en haut font d’un Bonhomme un Bas-homme et mettent les bêtes plus bas que terre. Comme la terre épaisse, lourde, riche, la terre aimée et nourricière, la terre tombe et berceau que des normes aveugles et sourdes le condamnent à fuir, j’ai collé aux semelles de Jacques, de page en page, de cache en cache, m’attachant aux pas de ce colosse aux pieds d’argile, de ce géant au cœur fragile. Le mien s’est alourdi du poids de ses souvenirs, égrenés entre les lignes par les voix des témoins, des proches, tuteurs devenus inutiles, petits cailloux d’un chemin qui s’est égaré.
Pleine terre est un roman de pleine tempête, de pleine déroute, l’histoire d’un homme qui, comme tant d’autres, s’est vu arraché à la sienne par une lourde machine à l’avancée inexorable, broyant, sans états d’âme, une mémoire aux parfums d’humus, de fumier et de respect sur son funeste passage. Sous les mots précis et justes de Corinne Royer, sous son phrasé d’une élégance à se pâmer, j’ai vu sourdre la force d’une colère, d’une douleur, dont la puissance n’a d’égale que la retenue. Ses phrases sont des poings serrés, entre rage et pudeur, de ces poings que l’on serre au fond de ses poches pour ne pas les abattre, pour que la violence apparaisse au bon endroit, que l’on sache où, réellement, elle prend racine.
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