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Ce numéro s'ouvre sur la traduction, par Laura Tavernier, d'un article fondamental sur la morale kantienne écrit en 1960 par Dieter Henrich, « Le concept de discernement moral et la doctrine kantienne du Fait de la raison ». Il y soutient que la doctrine kantienne du Fait de la raison - selon laquelle la raison pure ne peut ni anticiper ni fonder théoriquement la possibilité de son usage pratique - ne trahit pas un défaut de systématicité, comme le lui reprochaient les postkantiens. Que la loi morale et la conscience que nous en prenons ne puissent être dérivées logiquement d'un principe supérieur, c'est ce dont Kant prend acte après les échecs répétés de ses propres tentatives de déduction du discernement moral à partir de la raison théorétique lors de la décennie silencieuse. La doctrine kantienne du Fait de la raison demeure ainsi fidèle au phénomène du discernement moral, paradoxal savoir du bien, et offre une réponse méthodologiquement adéquate au problème que Henrich juge fondateur pour la métaphysique : Kant pense une unité du théorique et du pratique qui n'implique ni dérivation de l'un à partir de l'autre, ni subsomption des deux sous un principe unifiant.
Dans « L'insoutenable monisme. Kojève, Heidegger et l'idée d'une ontologie dualiste », Ovidiu Stranciu tente de dégager les linéaments fondamentaux qui sous-tendent la position ontologique de Kojève : ce dernier élabore un cadre ontologique original qui, tout en les régionalisant, intègre les positions de Hegel et de Heidegger, et peut être caractérisé comme un « double dualisme ». Afin d'expliciter cette thèse, il examine la lecture que Kojève fait de Heidegger et montre premièrement, que selon Kojève, la phénoménologie de Heidegger est marquée par une atténuation de la portée de la négativité qui donne lieu à une phénoménologie tendanciellement moniste ; et que deuxièmement, pour Kojève, la principale innovation philosophique de Heidegger réside dans l'idée d'une ontologie dualiste. Cette thèse s'appuie sur la conjecture herméneutique audacieuse de Kojève selon laquelle, dans la partie non publiée d'Être et Temps, Heidegger aurait accompli un dédoublement ou une duplication de l'ontologie.
Enfin, « Les fondements de la liberté dans la première philosophie de Paul Ricoeur » de Franck Despujols est consacré à la réflexion originale sur les fondements et la justification de la liberté que Ricoeur développe dans Le volontaire et l'involontaire. Celle-ci est impensable sans un fondement naturel de nécessité qui en est à la fois la source, l'horizon et la limite ; il faut donc penser l'unité dialectique du volontaire et de l'involontaire, tout en privilégiant le langage du cogito. Le langage de l'objectivité ou de la causalité naturelle échoue à s'extraire du déterminisme, bien qu'il offre au phénoménologue un contrepoint utile à sa démarche ; c'est pourquoi Ricoeur adopte une forme de compatibilisme permettant de préserver un sens fort de la liberté en cohérence avec une nécessité naturelle sans rupture.
D.P
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