"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Monsieur Pain.
Conseils d'un disciple de Morrison à un fanatique de Joyce.
L'Esprit de la science-fiction (inédit).
La Littérature nazie en Amérique.
Des putains meurtrières.
Les Déboires du vrai policier (inédit).
Traduit de l'espagnol (Chili) par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu.
Quand par hasard j’ai lu que le tome II des œuvres complètes de Roberto Bolaño contenait des inédits, deux en l’occurrence, et qui plus est qu’il renfermait aussi « Conseils d’un disciple de Morrison à un fanatique de Joyce », l’un des romans de jeunesse du maître chilien que je n’avais pas encore lu, alors immédiatement j’ai décidé de m’offrir ce plaisir, celui d’emprunter le sentier ou le labyrinthe ou les ruelles mal éclairées d’une ville désertique, pour m’aventurer dans les premières tentatives de M. Bolaño dans l’art du roman.
D’abord les « Conseils d’un disciple de Morrison à un fanatique de Joyce ». J’ai aimé le classicisme de cette histoire d’un couple de gangsters qui part à la dérive, avec des pointes caractéristiques de ce qui fera plus tard la grandeur de l’écrivain chilien, comme les poètes, cette trame policière, et cette vie d’errance et d’incertitude. Les lettres aux mères sont les passages qui m’ont le plus touché, le reste du récit est moins convainquant, c’est une ébauche de ce que sera plus tard le grand Bolaño, mais tout n’est pas encore en place. Est-ce dû à l’écriture à quatre mains, avec A.G. Porta ? Je ne le pense pas, car malgré ce comparse littéraire, le roman possède une grande unité, et les caractéristiques bolañesques sont présentes et reconnaissables. Non, sans doute est-ce seulement une première tentative, pas encore avec une certitude technique et stylistique, pas encore avec l’amplitude et l’ambition des œuvres plus tardives. Un peu comme dans « L’Esprit de la science-fiction », que j’ai également pris plaisir à lire, en y retrouvant par endroits les prémisses de ce qui irriguera les œuvres les plus abouties. Clairement ce roman a un lien fort avec « les Détectives Sauvages ». Ici il y a Mexico, il y a les poètes, il y a des lettres envoyées à des écrivains de science-fiction, il y a de longues descriptions de rêves, et même en écho au « Troisième Reich », de savantes explications sur les jeux de guerres. L’ensemble est maladroit, et n’a pas la force des œuvres plus tardives, mais le lecteur admiratif voit se mettre en place les fondamentaux d’une technique narrative. Comme d’ailleurs dans « Les Déboires du vrai policier », qui est une véritable plongée dans l’univers de « 2666 ». Archimboldi est français et se nomme Arcimboldi, mais certains titres de ces romans sont les mêmes, comme par exemple « La perfection ferroviaire ». Et, réussite formidable de ce livre, l’on a les récits des intrigues de ce grand romancier disparu, publié ici chez Gallimard (« Le Bibliothécaire » ou « Les Nègres de Fontainebleau » sont des merveilles de description d’une œuvre imaginaire, « La perfection ferroviaire » l’est tout autant). Le tout croisé avec l’amour impossible d’Amalfitano et de Padilla (et leurs correspondances, merveilleuses et si poétiques, avec la tentative de grand roman de Padilla), et l’arrivée en terre mexicaine de Rosa et d’Amalfitano, personnages eux aussi de « 2666 », mais qu’on voit ici évoluer avant les évènements de ce dernier roman. Là, les meurtres de Sonora ne font que pointer le bout de leur nez, et l’assemblage des différentes parties composant ce texte éclaté qu’est « Les Déboires du vrai policier » n’a pas la même puissance que les parties de « 2666 ». Des trois romans que je viens d’évoquer, c’est celui qui m’a peut-être le plus touché, car j’ai eu l’impression de découvrir une autre facette du mystère de « 2666 ».
Quoi qu’il en soit, il est fascinant de pouvoir découvrir les récits de jeunesse et les ébauches des textes de Roberto Bolaño, et ce fut un plaisir de passer de longues heures caniculaires plongés dans ces textes, avec un ventilateur et paquet de cigarettes.
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