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Mon grand tour

Couverture du livre « Mon grand tour » de Samuel Adrian aux éditions Des Equateurs
Résumé:

Sur les pas de Goethe, Samuel Adrian repart sur les routes tout en questionnant ce réflexe irrépréssible : le voyage serait-il gage de survie et de joie dans l'effondrement général de nos sociétés en guerre ou cette sagesse suprême est-elle en réalité une vue de l'esprit ?

"Vignemal est un... Voir plus

Sur les pas de Goethe, Samuel Adrian repart sur les routes tout en questionnant ce réflexe irrépréssible : le voyage serait-il gage de survie et de joie dans l'effondrement général de nos sociétés en guerre ou cette sagesse suprême est-elle en réalité une vue de l'esprit ?

"Vignemal est un peintre raté, chrétien de culture et païen de moeurs, séminariste défroqué, grand buveur devant l'Eternel, allergique au salariat et à la publicité, esthète intransigeant, mais peu soucieux de raffineries. Je l'ai rencontré aux vendanges, sur les coteaux du mont Brouilly. En deux jours, il s'était taillé une solide réputation de paresseux. Il accumulait un tel retard qu'on m'envoyait l'aider à finir sa ligne. Très vite nous formions binôme, et c'est la tête dans les vignes que naquît notre amitié. Je ne tardais pas à comprendre pourquoi ce jeune gars de 20 ans était toujours à la traîne. En tout chose, il s'appliquait. Il fallait voir avec quelle attention ce garçon coupait les grappes, pour comprendre qu'il n'était pas franchement adapté au monde dans lequel nous vivions. Le maître de chai s'était plaint de sa lenteur et de ses excès de boisson. J'avais obtenu malgré tout qu'il restât jusqu'à la fin des vendanges. Je travaillais pour deux, Vignemal me parlait de son art.

Je projetais à cette époque un voyage en Italie et en Grèce, sur la trace des premiers touristes modernes. Il y a trois cents ans, tout aristocrate faisait son Grand Tour en Méditerranée, une édition de Vitruve ou de Tite-Live sous le bras. Si le voyage était alors un divertissement, comme il l'est aujourd'hui, il était aussi une manière de s'éduquer. Je me demandais comment nous étions passé du Grand Tour au tourisme de masse, et s'il était encore possible de jouer au Chateaubriand à l'ère des selfies. Je n'ignorais pas que mon pays était en capilotade, que la Terre souffrait de nos excès, qu'une guerre déchirait les peuples à l'est de l'Europe, bref, que ça n'allait pas fort dans la « branloire pérenne ». Peut-être ce départ improvisé était-il un réflexe de survie. Devant le spectre de l'engloutissement, justifié ou non, j'allais aux chefs-d'oeuvre comme à une bouée. Je me demandais s'il était possible de vivre joyeux dans l'effondrement général, ou si cette suprême sagesse était une vue de l'esprit. Ces ratiocinations étaient le dernier souci de Vignemal, qui travaillait avec ses yeux, et pour qui la beauté était la mesure de toute chose. Que Paris vienne à brûler, il trouverait là motif à peindre. Quel beau spectacle qu'un monde en flammes ! Nous partîmes au début de l'automne dans une guimbarde chargée de vin. « À nous les petites italiennes ! gueulait Vignemal, à nous la grande beauté ! » J'avais ajusté mon itinéraire sur celui de Goethe, dont j'avais lu le Voyage en Italie. D'abord, les Grands Lacs, puis Venise, Florence, Sienne, Rome. Ensuite, la Sicile. Ensuite, si dieu veut, le Péloponnèse. Ensuite..., nous verrons bien."

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