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En 1962, l'auteur alors âgé de dix ans, découvre Kapò de Gillo Pontecorvo, l'un des tout premiers films de fiction traitant du génocide des Juifs par les nazis.
Ce film marquera le début de ce qui deviendra l'obsession de l'auteur. De David Rousset à Primo Levi, en passant par Raoul Hilberg, Dominique Porté va lire tout ce qui paraît sur le sujet. Jusqu'à découvrir un personnage qui ne cessera de le fasciner : Chaïm Rumkowski.
Ce Juif de Lodz a été désigné en octobre 1939 par les nazis pour diriger le ghetto de la ville. Il finira par se prendre totalement au jeu d'un pouvoir dérisoire et délirant, jusqu'à faire imprimer des timbres à son effigie.
Les chapitres décrivant l'obsession de l'auteur alternent avec ceux racontant le comportement de ce « roi » ubuesque du ghetto.
En 1968, Dominique Porté, tout juste titulaire du Brevet des Collèges, découvre dans une librairie « L’Univers Concentrationnaire » de David Rousset: sa lecture est un véritable choc pour l’adolescent, qui réalise que des horreurs ont eu lieu seulement 25 ans auparavant, alors que ses grands-parents étaient de jeunes adultes. Le livre est l’étincelle de sa quête pour comprendre comment la destruction des Juifs a pu être réalisée, s’appuyant sur des films, des voyages en Pologne, des ouvrages historiques, philosophiques, journalistiques, notamment à travers les œuvres de Primo Levi, Hannah Arendt, Claude Lanzmann, Marc Bloche ou encore Etienne Jaudel, ce qu’il raconte dans la moitié de « Mécanique d’une dérive », en alternance avec le portrait qu’il peint de Chaïm Rumkowski.
C’est dans « Eichmann à Jérusalem » d’Hannah Arendt qu’il découvre ce personnage. Né en 1877, ce notable juif de Lodz, homme d’affaires polyglotte et charismatique, très investi dans les bonnes œuvres, va être nommé par les Nazis Directeur du Conseil Juif administrant le ghetto de Lodz, un espace de 4 km2 où vont être regroupés de force jusqu’à 160 000 Juifs.
Ce personnage qualifié de « shakespearien », mégalomane, tient ici le rôle de sa vie : il va mettre en place toute une bureaucratie et une police juive pour assurer l’ordre dans la vie économique, l’approvisionnement alimentaire, l’emploi, la santé publique, et le maintien de l’ordre. Surtout, il va transformer le ghetto en un centre de production organisé en plus d’une centaine de fabriques, où travaillent douze heures par jour, dans le froid, la malnutrition et la maladie 70 000 Juifs.
Le livre de Dominique Porté explore une zone grise, un sujet tabou, la collaboration des institutions dites représentatives des instances communautaires juives. Le thème est complexe, obscur, comme le dit Primo Levi de Chaïm Rumkowski : « En Rumkowski, nous nous regardons tous en un miroir, son ambiguïté est la nôtre ». Au-delà du portrait de Rumkowski, c’est tout le système de collaboration que l’auteur interroge, dans un contexte de « répression sauvage, où l’instinct de conservation entraîne peu à peu la psychologie de l’homme vers son salut possible, même au détriment des autres ». « Hier comme aujourd’hui, les génocides, les bourreaux et les victimes ont besoin de spectateurs, ces témoins qui oscillent entre une collaboration volontaire et un opportunisme d’intérêts, ou encore une indifférence complice. Des seconds rôles sans lesquels l’Histoire ne serait pas ce qu’elle est ».
Où est la frontière entre le Bien et le Mal, l’opportunisme et le pragmatisme? C’est peut-être Etienne Jaudel qui trace le portrait le plus contrasté du « Roi du Ghetto », qui mourra à son arrivée à Auschwitz fin Août 1944 : en soulignant qu’en acceptant le poste, Rumkowski acceptait implicitement de prendre les décisions criminelles qui allaient de mise avec cette fonction, il rappelle également que grâce à son efficacité économique, le ghetto de Lodz a duré au moins un an de plus que tous les autres ghettos polonais, donnant à ses prisonniers plus de chances de survivre.
Un livre riche, passionnant, déstabilisant.
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