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Parmi les grands auteurs classiques hongrois, Gyula Krúdy (1878-1933) a de quoi étonner son lecteur.
Aîné d'une famille originaire du nord-est magyar, ayant pour père un hobereau qui ne décide d'épouser la servante qu'après leur dixième enfant, doté d'une taille de géant dont la force prodigieuse impose le respect, il passe aussi pour l'écrivain le plus prolifique qui ait le moins retouché ses textes. Si ces détails contribuent à une légende dorée formée du vivant de l'auteur et véhiculée longtemps après son décès, l'oeuvre, elle, connaît des soubresauts que l'histoire de la littérature ne saurait prévoir. En effet, qui aurait cru que cet écrivain dont la gloire éphémère remonte à l'époque de la Grande Guerre et qui fut d'abord décrié par les nationalistes, puis stigmatisé décadent par les communistes, allait devenir un nom incontournable du canon littéraire national, voire européen ? Et pourtant, sa notoriété ne cesse d'accroître depuis des décennies, la troisième tentative de l'édition de ses écrits complets est bel et bien en route.
Salué comme le maître de la prose moderne, ce « Maupassant magyar », ou « Proust hongrois » figure au nombre restreint d'auteurs « de l'est » de la première moitié du XXe siècle qui continuent à intéresser le lecteur étranger.
Sans prétendre à une biographie sur Krúdy, sans doute prématurée, le présent volume propose, en se fondant sur le colloque organisé en 2013 par l'Inalco et intitulé « La Hongrie engloutie », une réflexion sur l'oeuvre de l'auteur. Au-delà de l'analyse de la plupart des oeuvres accessibles déjà en traduction, ce recueil universitaire a pour but d'orienter le lecteur français dans l'univers « krúdien », très riche et très particulier. Grâce à ce travail d'équipe franco-hongroise, les francophones pourront découvrir les divers aspects de la création de l'écrivain magyar.
Les études du volume s'articulent autour de trois grandes parties qui, tout en permettant des méthodes d'analyse variées, circonscrivent les principaux centres d'intérêt de l'auteur. La première, placée sous le signe d'une topographie littéraire, s'intéresse à ses rapports avec l'espace ; ceux-ci reflètent une opposition entre la périphérie et le centre.
La philosophie de Krúdy, deuxième partie de notre volume, aborde les thèmes de l'auteur qui relèvent de ses connaissances profondes de la nature humaine ainsi que d'une phénoménologie de l'existence. En premier lieu, l'approche de la féminité : la belle juive apparaît comme fantaisie éthique et la misogynie a tout d'une stratégie éducative. Dans les rapports du soi à l'autre, la représentation des nationalités de la Hongrie historique constitue un élément essentiel, et l'intérêt de l'auteur porté à l'égard des Slovaques reste édifiant aussi dans une perspective interculturelle.
Enfin, la dernière partie du recueil tente de fixer quelques repères de la poétique krúdienne. D'un côté, la pratique de l'écriture : éclatement de la prose traditionnelle par l'autofiction et par la dispersion des voix narratives, portée testimoniale de l'écriture, diverses techniques stylistiques, propres à une prose lyrique. D'un autre côté, pratique de la lecture et de l'intertextualité : influence des contes arabes des Mille et une nuits, traces des romanciers du réel, Zola et Maupassant, ou encore, emprunts aux grands auteurs anglais, Shakespeare et Dickens.
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