"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Ils sont prêts à toutes les combines pour atteindre leur rêve. Fin XIXème, un immense bidonville entoure Paris : La zone. Là, vivent Eugénie et la bande qui lui tient lieu de famille. Cinq personnes unis par des liens très forts au milieu des déshérités de tous bords chassés de la ville par la spéculation immobilière. Pour réaliser son rêve, reconstruire « L'Oiseau rare », le cabaret de son grand-père, Eugénie est prête à tout. Vols, filouteries, chantages sont leurs activités quotidiennes. Mais les combines de plus en plus risquées mettent en péril le petit groupe. C'est alors qu'Eugénie fait une rencontre déterminante : la grande Sarah Bernhardt...
Magnifique BD, les planches sont splendides, le graphisme comme les couleurs sont un enchantement.
Côté scénario je dois dire que j'aime beaucoup les personnages et l'intrigue.
Ce premier tome est un régal, hâte de lire la suite !
Dès les premières pages et le préambule on comprend que le cœur de ce projet est de faire revivre une certaine époque, ce fascinant XIX° siècle finissant, plein de sang et de larmes mais aussi d'espoir, époque que nous voyons aujourd'hui dans le reflet des pays du tiers-monde, du Brésil à une certaine Europe où immenses richesses côtoient la plus basse misère avec la juxtaposition de plusieurs sociétés que seule la Nation relie. En écho aux Yslaire, Tardi et Bourgeon , L'oiseau rare s'attache à un travail documentaire, faisant la part belle aux trognes qu'un Eric Stalner à la productivité débordante (plus d'un album par an depuis pfiouuuu...), issu de la tradition de BD historique Glénat, sait remarquablement croquer. La reconstitution nous emmène ainsi des bidonvilles de la Zone, sous-société tolérée par l'Etat en ce qu'elle se situe hors du champ de vision de la bourgeoisie, aux rapines dans les rues parisiennes. Ce sont ces séquences fort sympathiques, celles des petits œuvrant de malice pour détrousser le bourgeois ou le gros commerçant, qui attirent le plus l'attention du lecteur. Dans l'esprit rebelle d'un Robin des bois ou de Jay et Kita, on aime cette liberté, cette vie qui dénote avec une société parisienne corsetée (... que l'on ne voit guère dans l'album).[...]
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Dans leurs superbes adaptations de « La Curée » et « Pot Bouille » de Zola aux éditions les Arènes bd, Cédric Simon et Eric Stalner s’intéressaient à la transformation de Paris sous l’impulsion du Baron Haussmann. Ils décrivaient avec brio les malversations financières qui profitaient aux riches, les bouleversements du paysage parisien avec l’émergence des grands magasins et la vie des privilégiés empreinte de turpitudes diverses et variées tant dans l’intimité des Saccard que dans l’immeuble où débarquait l’arriviste Mouret.
Le duo familial, « Stalner père et fils », se reforme encore une fois dans « L’oiseau rare » paru aux éditions Bamboo pour traiter d’une conséquence plus méconnue de la réforme d’Haussmann : la création de la « zone » au-delà des fortifs qui regroupait tous les laissés pour compte du capitalisme naissant. Cet album, premier tome d’un diptyque est passionnant et cinématographique. Il a toute sa place dans la bien nommée collection « grand Angle ».
A l’origine, on trouve une photographie d’Eugène Atget, un peintre documentaire reconnu désormais qui faisait œuvre de sociologue malgré lui en immortalisant pour des peintres les quartiers, les rues et les métiers, voués à disparaître. Dans son préambule, Stalner explique comment il a été frappé par cette photo intitulée « joueur d’orgue de barbarie » et ému par la petite fille au regard lumineux et au sourire radieux qui s’y trouvait au premier plan. Il met en scène cette inspiration en en faisant la première case de l’album : on y voit une reproduction de la célèbre photo de 1898 et celle-ci est ensuite reprise sous forme de dessin où l’on aperçoit au premier plan le photographe en train de prendre son fameux cliché. Eugénie, qui emprunte son prénom au photographe comme un clin d’œil , l’héroïne éponyme de l’album, s’anime ainsi sous nos yeux et nous entraîne dans ses aventures.
Nous la découvrons alors qu’elle subjugue un auditoire accompagnée de son grand père Arthur à l’orgue de barbarie. Pendant sa prestation, un apache en profite pour détrousser les spectateurs sous le charme de la voix cristalline. Un jeune homme bien mis se lance à sa poursuite tandis qu’un colosse présent dans l’assistance organise une quête improvisée pour venir en aide aux deux artistes que le voyou a lésé en détroussant leur public. On comprend à la séquence suivante que tout cela était orchestré et que la fillette, son grand-père, le colosse et les deux jeunes hommes étaient de mèche. Ils se retrouvent à la lisière de Paris, dans cet entre-deux derrière les fortifs où s’était établi ce qu’on nommerait de nos jours un bidonville et qu’on appelait à l’époque « la zone », dans la roulotte du grand -père et se partagent le butin du jour.
Ainsi, le scénario devient doublement original : fondé sur une photo et issu de l’imagination du père et du fils, il évite les poncifs du roman-feuilleton. La petite chanteuse des rues n’est nullement victime et pas du tout pathétique. Si elle semble avoir eu un vécu digne de Malot et d’Eugène Sue puisqu’elle est l’unique rescapée de sa famille, qui a péri au milieu des flammes dans l’incendie de son théâtre ( baptisé « l’oiseau rare » d’où le titre de la série), elle apparaît pleine de vie, de gouaille et de ressources. C’est elle véritablement qui est le chef de la bande. Elle a su recréer une famille avec d’autres estropiés de la vie : son grand-père qui cache un lourd secret, Tibor l’ex dompteur hongrois qui a perdu une main et les deux frères Constantin et Lucien dont le passé n’est pas encore évoqué dans ce tome introductif. Elle est portée avant tout par un espoir : celui de redonner vie au cabaret disparu et de réaliser le rêve de ses parents comédiens qui la voyaient devenir une grande actrice comme leur idole Sarah Bernhardt.
Cet axe dramatique donne sa ligne directrice au récit : on assiste ainsi aux différents stratagèmes mis en place par l’héroïne pour gagner de plus en plus d’argent quitte à mettre la petite troupe en péril et également à sa rencontre avec la comédienne qui ne se déroulera pas forcément comme elle l’avait imaginée…
Cédric Simon alterne avec justesse des moments du quotidien, d’autres plus dramatiques et certains très drôles. Même si certains rebondissements peuvent paraître un peu prévisibles, le duo d’auteurs arrive souvent à nous surprendre, à l’image de la couverture qui met au premier plan, en ombre chinoise, une silhouette inquiétante de félin tandis que Tibor arbore un cache nez plutôt saugrenu : un immense boa. Ces deux animaux sont à la fois réels et métaphoriques : ils apparaissent dans un épisode plutôt comique de l’album mais ils signalent aussi dans un raccourci assez saisissant que la zone est une « jungle » où règne la violence. Or, la petite fille ne semble nullement effrayée et, les mains sur les hanches, semble à la fois toiser le fauve et sa destinée.
Dans sa description de la zone, Stalner s’appuie sur d’autres clichés d’Atget. On retrouve ainsi la série des petits métiers avec le personnage de la vielle quenouille tandis que les deux roulottes qui servent de maison aux complices sortent tout droit d’une autre photo .(titre) de l’album des « zoniers ». Dans les plans d’ensemble, on retrouve bien les habitats de bric et de broc immortalisés par le photographe ou le café où se réunissent les trois jeunes pour discuter car la zone pullulait de petits commerces. Stalner met en scène ce décor avec un dessin précis et détaillé. Il utilise aussi plusieurs fois un cadrage en plongée qui donne une impression d’écrasement ou un découpage horizontal à ras de terre qui souligne le dénuement des habitants avec les hordes de gamins qui vadrouillent pieds-nus. De nombreuses scènes dans la zone se déroulent en nocturne et se détachent par l’utilisation d’un fond de page différent (noir) qui les met en relief.
Les pages qui se déroulent dans les beaux-quartiers y sont opposées par un savant jeu de cases et de couleurs : les fastes de la Belle époque sont croqués dans des tons mordorés synonymes d’opulence et se déploient dans des demi pages en contre plongée . Florence Fantini crée de très belles ambiances grâce à ses couleurs et le jeu de lumières est de toute beauté.
A noter que les éditions Bamboo fournissent un précieux dossier historique en fin d’album qui présente la zone avec des reproductions des clichés d’Atget et les biographies du photographe et de Sarah Bernhardt ce qui permet au lecteur d’effectuer plus facilement la mise en contexte de l’histoire.
Dans ce premier tome de « L’oiseau rare » on a une belle alliance entre roman social et populaire. Les deux auteurs créent un récit dans la veine d’Eugène Sue, de Malot ou encore de Dickens et peuplent leur univers de figurants truculents et de héros attachants dont on suit les aventures avec plaisir. Vivement la suite programmée pour début 2021 !
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