"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
On dit que beaucoup d'auteurs écrivent toujours le même livre. Il en est ainsi de ce recueil de nouvelles, qui forme en réalité un seul et même récit, mais à la manière d'un prisme de cristal, suspendu à la verticale et rayonnant de toutes ses facettes. Le lecteur y rencontre, au sens le plus fort de ce verbe, l'artiste aussi multiple qu'étonnante, cette fois encore au sens premier de ce mot. Notre époque se voudrait affranchie et déliée, mais elle s'enlise et se fige, à l'instar des précédentes, dans ses propres entraves et interdits. La beauté devient suspecte, l'amour ne doit pas dire son nom, l'éclairage cru des spots et des écrans met à mal la lumière et obscurcit les âmes, les slogans remplacent la prière. Jeanne Morisseau fait partie de ceux qui résistent, quitte à en payer le prix, et nous livre « ses prénoms » : un long voyage intime et universel, fait des va-et-vient douloureux, comme le sont les métamorphoses les plus profondes. Les personnages apparaissent devant nous au fil des pages, nous surprennent, nous interrogent, nous bousculent, nous rappellent à nos incer-titudes. Parfois, ils ne font qu'un. Le clair-obscur de leurs coeurs et de leurs histoires tisse une trame des miracles au milieu des soifs, souffrances et tristesses. L'amour et le désir transfigurent les êtres et le monde. Les prières changent le cours des choses. Les anges veillent, discrets mais secourables. Les morts parlent aux vivants et les vivants aux morts. Tout est lié, finalement. Le récit et les poèmes mènent un dialogue complice, tout au long de ce livre vivifiant, ressuscitant tendresse et espoir. L'humour subtil, toujours bienvenu, se faufile entre les lignes, se mêlant à la gravité. Les mots donnent à voir des images et à entendre des musiques, douceur et violence mêlées. Mais avant tout, il y a un appel de l'absolu : réfractions infinies des élans de lumière, qui n'achoppent sur les apories de ce qu'on nomme habituellement le réel que pour mieux rejaillir de ses failles. Et si nous avons tant besoin de cette lumière, c'est parce que - comme le chante Patti Smith - « the night belongs to lovers, because the night belongs to us ».
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