"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Sur les collines de Nyamata, Jean Hatzfeld part cette fois à la recherche des très rares Hutus qui ont résisté à la folie génocidaire au péril de leur vie. Au Rwanda, on les appelle abarinzi w'igihango, les gardiens du pacte de sang, ou parfois les Justes. Mais vingt-cinq ans après, ils restent des personnages silencieux, entourés de méfiance ; parce que aux yeux des Hutus ils incarnent la trahison, ou leur renvoient l'image de ce qu'ils auraient pu être, tandis que les Tutsis portent sur eux d'irréductibles soupçons et le plus souvent refusent d'admettre qu'il y ait eu des Hutus méritants.Beaucoup de sauveteurs ont été abattus par les tueurs, sans laisser de trace. Certains de ceux qui ont survécu racontent ici leurs histoires extraordinaires. Chacun trouve les mots pour relater ce chaos dans une langue étrange, familière et nourrie de métaphores, reconnaissable entre toutes pour ceux qui ont lu les précédents livres de l'auteur.
L’intérêt historique que porte l’auteur au génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994 est ici abordé par les témoignages poignants de Rwandais qui, au péril de leur vie ont sauvé des Tutsis dans des conditions particulièrement difficiles. La force évocatrice de ces récits tient surtout au fait qu’ils ont été transcrits tels qu’ils ont été racontés, avec les mots, les hésitations, les répétitions et souvent les points de vue des sauveurs et des sauvés. Cela rend parfois la lecture un peu difficile car le lecteur doit s’imprégner de vocabulaire et de tournures de phrases qui ne lui sont pas familiers, mais cela rend l’ensemble authentique et fort. Bel hommage à des justes qu’il fallu débusquer à force de patience et de persuasion, mais qui le méritaient bien.
Comme le rappelle Jean Hatzfeld, le génocide des Tutsis au Rwanda est l’un des plus meurtriers de l’histoire par rapport à sa durée : 800.000 morts pour 100 jours ! Du 7 avril au 17 juillet 1994 et qui faisait suite à la Guerre civile rwandaise entre le FPR (fondé par les exilés Tutsis dont Fred Rwigema, puis Paul Kagame) et les FAR (l’armée du Rwanda composée de Hutus et soutenus par la France).
Dans cette inhumanité totale, des hommes et des femmes ont tenté l’impossible : sauver une vie. A l’instar de ce qui s’est passé durant la Shoah, des êtres humains ont fait preuve de courage pour cacher, faciliter la fuite de ceux qui étaient condamnés à l’exécution barbare de l’intolérance. En 1994 ce sont des Hutus qui ont tendus leur cœur vers des Tutsis. Un fait méconnu et même s’il existe dorénavant une reconnaissance officielle beaucoup sont totalement ignorés. Parce qu’il est toujours difficile de parler, parce qu’un Hutu qui a sauvé peut encore passer pour un traître, parce qu’un hutu aux yeux des Tutsis est peut-être encore un ennemi. On n’efface pas en un jour le sang qui a giclé sur tous les chemins du Rwanda qui s’est coagulé dans les immondes trous reconvertis en charniers de l’horreur.
Jean Hatzfeld, que l’on ne présente plus tant ses écrits sur le Rwanda ou les Balkans font date, a rassemblé à Nyamata les témoignages de ces hommes et femmes qui auraient pu tout perdre en sauvant leur prochain. Le risque était immense car tout Hutu qui sauvait un Tustsi était condamné à « être coupé ». Des histoires rassemblées comme des nouvelles en transcrivant sans artifice le récit, ce qui donne une immense émotion à lire ces mots sortant du ventre, une langue étrange où pleuvent les métaphores. Ils ont survécu au génocide et c’est déjà extraordinaire ; mais en bravant le danger, ils ont donné espoir en l’humain, un humain capable du pire côtoie l’humain capable du meilleur.
Ce livre est précieux car ces « Justes » sont rares. Rares parque ‘ils se taisent ou parce qu’ils sont morts. Les raconter, c’est faire honneur à la bravoure de l’âme, c’est les faire revivre. C’est aussi un hymne à l’amour car les couples mixtes étaient chassés, persécutés ; on demandait à un mari de tuer sa femme Tutsi, s’il ne le faisait pas, les deux étaient assassinés. Les enfants avec. Ou alors, les enfants devenaient à leur tour des tueurs.
Des mots qui sont une signature éternelle pour Isidore Mahandago, Eustache Niyongira et Edith Mukayiranga (la gentillesse invincible), Marcel Sengati, François Karinganire, Jean-Marie Vianney Setakwe et Espérance Uwizeye, Silas Ntamfurayishyari…
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