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C'est de la très ancienne musique écossaise, nommée « Piobaireachd » (qui signifie « grande musique » en gaélique), entièrement jouée à la cornemuse et dont les morceaux traditionnels se développent en mouvements successifs, que le roman tire non seulement son titre, mais aussi la progression de son récit.
Tôt un matin, dans le Nord sauvage des Highlands, le vieux John Callum MacKay s'enfuit de la « Maison Grise » familiale en emportant dans les montagnes sa petite-fille Katherine Anna, âgée de quelques mois à peine. Pourquoi ce geste ? Les raisons s'enracinent dans une histoire familiale mouvementée, qui nous sera révélée par fragments et au gré de plusieurs « voix » narratives. Un second personnage apparaît : Margaret, qui vit dans la « Maison Grise » ; celle-ci eut jadis une fille avec John, hors mariage. Cette fille, Helen, prend aussi une part active dans le récit, et l'on apprendra même que c'est elle qui organise une partie des différents documents qui composent le texte. Margaret vit désormais avec son mari Iain, qui a élevé Helen comme sa propre fille. On retrouve finalement le vieux John, qui se met à délirer : ses pensées l'emmènent vers le passé, à ses difficiles relations avec son père qui, lui aussi, faisait partie d'une longue lignée de joueurs de cornemuse. En parallèle se noue un autre « dialogue » père-fils : Callum, le fils de John et de son épouse Sarah, arrive de Londres, alerté de l'étrange incident de l'enlèvement du bébé. Il ressent une grande anxiété à retrouver ce vieux père à l'article de la mort, à revoir la maison de son enfance et ses habitants...
Le roman de Kirsty Gunn ne se contente pas de suivre linéairement le développement de ces complexes rapports familiaux : tous ces éléments se voient, par ondes successives, augmentés par des retours dans un passé intime ou historique, par des commentaires musicaux de toute sorte, des visions du paysage écossais...
Dès les premières pages, on comprend que l'on a affaire à un objet littéraire singulier. Suivant un modèle musical constitué de « variations », de « mouvements », Kirsty Gunn juxtapose à un riche canevas aux accents très poétiques une série de notes de bas de page, qui créent un rapport singulier avec la trame narrative. Loin de susciter des dissonances ou de parasiter le récit principal, ces notes et commentaires, à la fois fictionnels et profondément ancrés dans une histoire locale, constituent une longue série de modulations passionnantes et créent un singulier effet d'ampleur romanesque. Ces notes renvoient d'ailleurs à un ensemble d'appendices à la fin du livre, où l'on découvre les manuscrits de certains personnages, des cartes et croquis, et même des partitions de « grande musique ».
De l'architecture locale à la musique de cornemuse ou l'histoire sociale des Highlands, c'est ainsi une petite encyclopédie de l'Écosse que compose ici Kirsty Gunn, sous la forme d'un récit pourtant accessible et poignant.
Si le retour permanent, circulaire, à quelques scènes-clés, moments familiaux clairs ou obscurs, rappelle parfois Faulkner, on pense également au modernisme anglo-saxon, tel que porté par James Joyce ou Virginia Woolf.
La Grande Musique est une oeuvre ambitieuse et remarquable, un texte « mille-feuilles » dont la lecture ne débouche pas tant sur la résolution d'un thème que sur l'éclatement audacieux de matériaux littéraires extrêmement divers, un univers complet qui contient une part de l'Écosse.
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