"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Portée par sa lecture du Journal d'un corps de Daniel Pennac il y a des années, Sophie Benard s'est donnée la mission de donner à son corps, et aux nôtres, une voix, le rôle principal : d'objet d'observation, il devient alors sujet, il prend la parole et tutoie la narratrice, qui à son tour lui octroie " l'honneur " de nouer un dialogue avec lui.
En effet, si le corps semble aujourd'hui au centre de nos préoccupations esthétiques, médicales, des trucs et astuces pour l'entretenir, l'empêcher de vieillir, le parfaire, le modeler, repousser ses limites, lui demander de se détendre à coups de séance de yoga et de respirations en pleine conscience, nous continuons à le tenir à distance de notre être profond, à vouloir nous en dissocier.
Il est pourtant un être à part entière, notre part entière : il est celui qui emmagasine nos émotions, qui guide nos pas, au quotidien comme à chaque étape de nos vies ; il est traversé par chacune de nos douleurs, mais aussi de nos joies, de nos couacs de santé, de nos évolutions biologiques. Sophie Benard nous guide ainsi à travers son corps et donc son histoire, et les nôtres : la perte de nos premières dents, le chagrin d'amour qui empêche aux poumons de se remplir d'air et aux jambes de se mouvoir, le deuil qui hante le corps comme les membres fantômes. A la manière d'un médecin légiste des lettres, elle dépèce le corps : chacun de ses muscles, de ses os du squelette jusqu'à ses dents, et toutes les histoires qui le hantent et nous composent.
Elle ne fait l'économie d'aucun état de son corps : le corps supplicié, le corps privé, le corps désirant, le corps meurtrier, le corps mort, le corps nié et le corps jaillissant, absolument puissant. Elle rend ainsi sa puissance et légitimité narrative au corps et nous invite à notre à nous observer, à nous tâter, à dépasser l'expérience physique, à cesser de penser notre corps comme un vulgaire vaisseau, mais comme notre être entier : en dehors et en dedans. La fin de psychanalyse : vive la corpus-analyse !
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