"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le monde a changé, dit-on, depuis le 11 septembre 2001. Certes. Pour les Etats-Unis d'Amérique frappés au coeur par le terrorisme. Pour le monde, sidéré par les images des tours jumelles du World Trade Center en flammes, détruites. Pour les pays d'islam mis en accusation. L'Irak puis l'Afghanistan ont cristallisé cette confrontation Occident-Islam conceptualisée, voulue, engagée par certains. Le monde a changé dit-on depuis la révolution tunisienne et ce qui a été appelé le printemps arabe. Certes. Printemps qui a entrainé la chute de dictateurs en poste depuis de longues années, Ben Ali, fuyant comme un bandit, après avoir mis son pays en coupe réglée, Moubarak, le pharaon tout-puissant régnant par la corruption et la brutalité, momifié par son peuple, le fantasque El Kadhafi, leader autoproclamé d'un pays sans loi, sans droits ni institutions, renversé et traqué comme un rat. Pour les Algériens, le monde a changé il y a cinquante ans. Après 132 ans de colonisation française et plus de sept ans d'une guerre terrible qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts, succédant à trois siècles d'occupation ottomane, et d'autres occupations précédentes, le pays devient souverain. Le 3 juillet 1962 était proclamé l'indépendance de l'Algérie et naissait la République Algérienne Démocratique et Populaire. Cinquante ans après, c'est un pays qui sort d'une guerre civile meurtrière, traumatisante, en proie à des difficultés sociales, politiques réelles qui s'apprête à faire son bilan. A l'enthousiasme des premières années s'est substitué un immense désespoir malgré les ressources financières colossales des dernières années. Cinquante ans après, le bilan des brutalités et humiliations subies jette un voile épais sur les réalisations qui auraient été faites. Les Algériens, femmes et hommes, sauront faire le bilan nécessaire et engager les changements adéquats. Cela leur appartient.
Le travail littéraire, présenté dans cet ouvrage, fait à plusieurs mains, ne prétend à rien, absolument rien d'autre que l'expression de subjectivités, individuelles, intimes, provenant de femmes et d'hommes, journalistes, écrivains, divers, aux horizons tout aussi éclatés, aux aspirations non moins variées, tous évoquant le leur rapport à l'Algérie. Ce qui leur a été demandé et qu'ils expriment avec talent. Ils sont Algériens vivant en Algérie et l'amertume les étreint, tordant leurs mots. Dans leurs écrits, une guerre cache l'autre, et le désespoir fait oublier les rêves nourris par plusieurs générations. Rêves extirpés, arrachés, douleurs lancinantes, cicatrices profondes, tels se présentent-ils à nous, nus et libres. Ils sont Algériens, vivant en Europe, en particulier en France, et l'exil enrichit leur vision et leur regard, attendris, sans obturer leur lucidité, ni leur capacité créatrice, triturant les mots pour dire la terre algérienne et ses blessures. Ils sont Français, ayant vécu et (ou) travaillé en Algérie pour certains, l'ayant visité pour d'autres, et leurs sentiments sont empreints d'amour, leurs mots irrigués d'indulgence, les souvenirs encore frais.
Ils sont Français, nés de parents originaires d'Algérie, et leurs mots s'emmêlent, s'entremêlent, se croisent pour dire les souffrances d'hier, celles de leurs parents, les malentendus d'aujourd'hui, les leurs, et l'inconfort de leur situation. Ecrivains pour la plupart, reconnus pour nombre d'entre eux, journalistes, critiques, enseignants pour d'autres, écrivant tous, ils transgressent le récit historique fabriqué, s'en détachent, se focalisent sur le sort de l'individu, l'être humain, dans son entièreté et dans ce qu'il a de plus profond, sa dignité d'Homme. Et ainsi, ils offrent, non de la nostalgie, même si certains écrits le laissent deviner, mais de la lucidité, de la distance et, surtout, l'amour d'une terre rude et attachante, à l'histoire séculaire et tumultueuse, compliquée et paradoxale. Femmes et hommes, ils explorent le secret des mots pour rendre intelligibles et audibles les souffrances cachées, les cicatrices éventrées.
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