"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les polars de Maurice Gouiran sont toujours chargés d’une recherche érudite qui dévoile des pans bien cachés de la grande Histoire. Ici, on est sur les enfants volés du temps de Franco et Hitler.
Clovis et François sont deux journalistes à la retraite qui continuent à faire des piges ci et là. Ils se sont rencontrés sur le terrain lors des massacres de Sabra et Chattila. Puis, ensemble, ils ont couverts à peu près tous les conflits de par le monde, l’Irak, l’Afghanistan, le Rwanda, etc.
Samia rescapée du Liban a épousé François. Un soir elle frappe à la porte de Clovis.
François parti en Espagne ne donne plus de nouvelles. Elle s’inquiète.
Clovis en partant à la recherche de son ami va se retrouver sur les traces d’un passé franquiste bien sombre.
« Le trafic d’enfants initié par le franquisme s’était poursuivi jusque dans les années 90. Sœur Maria était suspectée d’être un maillon du gigantesque trafic de nourrissons qui dura un demi-siècle et se poursuivit longtemps après la mort du Caudillo.
Au début, dans les années quarante, il s’agissait de purifier la race –une obsession de toutes les idéologies totalitaires- et des milliers de gosses avaient été volés à leurs familles républicaines pour être confiés à des familles proches du régime. C’était la meilleure garantie de les rééduquer selon les règles et la morale de la Phalange, et d’extirper le fameux gène « rouge » qui polluait leur esprit. »
Puis le trafic d’enfants avait continué mais dans un but très lucratif… Et la sœur Maria s’était fait pincer tout comme certaines religieuses au Rwanda…
Les secrets de François vont entrainer Clovis et le lecteur sur les méandres d’une fiction passionnante sur fond d’actualités vraies dont les Lebensborn Eingetragener Verein qui étaient de développer à travers l’Europe, une « race » parfaitement pure sous le régime nazi.
Maurice Gouiran est pétri de talent et n’hésite pas à dénoncer l’innommable dans l’Histoire du monde avec ses inévitables répercussions dans le monde présent sans oublier par ailleurs, son petit coup de griffe sur la façon dont est géré Marseille, sa ville de cœur.
Il y a plusieurs façons de perdre ceux qu'on aime. Voyez Clovis. Il a perdu Samia, à peine sauvée de l'enfer de Sabra et Chatila, quand elle lui a préféré son ami François. Et voici que Samia revient, des années après, le réveiller de son hibernation provençale : elle a perdu François entre Madrid et Barcelone où il enquêtait sur les vols d'enfants par la dictature franquiste. Depuis, silence radio. Pour les - très - beaux yeux de Samia, Clovis retrouve ses vieux réflexes de journaliste et remonte les traces de son ami. Et vite il comprend que c'était sa propre filiation que François recherchait : sa naissance bien loin de là, dans un Lebensborn du IIIème Reich.
Palestine, Espagne, Allemagne : on sent que Maurice Gouiran a autant enquêté que ces héros (et sans doute plus) pour ce voyage au coeur de la barbarie du second XXème siècle, et on referme son livre doublement meurtri : d'une part parce qu'on sait que partout et toujours les enfants sont la première victime de nos folies - et d'autre part parce qu'on comprend bien que ceux qu'on aime et qu'on a perdus ne reviennent jamais.
Un roman noir qui vous secoue comme un chagrin.
Clovis, François et Samia se sont connus en 1982, sur les cendres des camps de Sabra et Chatila, les deux hommes faisaient leur métier de journaliste, Samia était une victime de la barbarie la plus sauvage : "Notre guide a finalement retrouvé les siens dans un charnier à ciel ouvert. Des dépouilles lacérées et emmêlées. [...] La plupart des corps étaient amputés. Des nourrissons avaient été éventrés. Les phalangistes s'en étaient donné à cœur joie au nom de Dieu, violant, tuant à bout portant tout ce qui vivait dans ces bidonvilles." (p. 21) Ils ne se sont plus quittés, aussi Clovis ne peut que partir à la recherche de son ami. Et sa trace le mène sur les chemins de l'église catholique espagnole et sa frange la plus dure, ceux qui veulent la béatification de sœur Encarnacion, directrice à l'époque de la maternité qui organisait un trafic d'enfants : "Les tenants du régime répondaient alors à l'injonction de Vallejo-Nàjera, un psychiatre dément mais encensé par le Caudillo, qui prétendait qu'il existait un gène communiste et qu'on pouvait combattre cette saloperie en retirant les bébés de leurs familles "rouges". Sous le prétexte d'une loi promulguée en 1939 qui confiait à l'Etat les enfants nés sous X, on avait subtilisé, dans les maternités et les prisons, les enfants de républicains. Les nourrissons étaient alors placés dans des familles phalangistes qui allaient les éduquer selon les principes moraux du régime." (p.42) Ce trafic au départ pour la cause franquiste perdurera après la mort du Caudillo pour de viles raisons pécuniaires, puisque les nouveaux parents pouvaient acheter un bébé entre cent mille et trois cent mille pesetas. L'enquête est délicate surtout lorsque Clovis est à son tout victime d'agressions, d'intimidations.
Après un début un rien long et lent lorsque Maurice Gouiran nous promène dans les rues de Barcelone, la Marseille de l'Espagne -ou Marseille la Barcelone de France-, il nous fait visiter une ville qu'il connaît et aime. Le mieux serait sans doute de connaître soi-même un peu la ville, mais finalement, ce n'est pas un problème, on se balade. De même, parfois, une allusion est faite à un personnage qu'on ne connaît pas si l'on n'a pas lu les livres précédents de l'auteur, d'ailleurs le nom même de Clovis n'est pas vraiment su dès le départ, mais, ce qui pourrait être un handicap n'est pas vécu comme tel ; c'est un peu comme un copain avec qui l'on parle : on ne sait pas tout de sa vie, mais ça ne nous empêche pas de le comprendre, de l'apprécier et de s'intéresser à lui. Ce qui me fait penser à cette comparaison, c'est sans doute le langage de l'auteur qui s'adresse à ses lecteurs comme s'il leur racontait une histoire, dure certes, mais les personnages qu'il crée font passer le message plus sûrement qu'un essai sur le sujet.
L'intérêt principal du roman est de mettre le doigt sur un sujet sensible et dont on parle assez peu, le traitement des enfants sous les dictatures, les enfants volés d'Espagne ou encore les Lebensborn nazis censés faire naître de bons aryens pour repeupler l'Europe, des soldats nazis engrossaient des jeunes femmes blondes, véritables esclaves. Puis, le rendement étant jugé insuffisant, des enfants correspondant aux critères aryens furent enlevés dans les territoires occupés par Hitler et déportés dans ces Lebensborn. Très documenté, ce roman noir est dérangeant, met mal à l'aise parce qu'il concerne un nombre d'enfants de l'époque encore en vie aujourd'hui, tant ceux qui sont nés ou ont été déportés dans les Lebensborn -qui ont entre 70 et 80 ans- que ceux qui ont été pris dans la spirale du trafic espagnol qui a perduré jusque dans les années 80 et qui ont donc pour les derniers une petite trentaine d'années. Tous sont victimes d'un système morbide, immonde -on pourrait aligner les qualificatifs-qui les laisse sans racines, parce qu'en plus, Maurice Gouiran le montre très bien, les recherches sont difficiles et freinées plus qu'aidées par les autorités notamment religieuses -mais pas seulement- qui voient d'un mauvais œil qu'on puisse mettre en cause leurs pratiques répugnantes et leurs accointances avec des régimes pourtant infréquentables pour qui se prévaut de valeurs humanistes, fraternelles (cf. un article du Huffington post). Clovis Narigou est un dangereux anticlérical, un libre-penseur (Maurice Gouiran sans doute aussi) c'est sûrement ce qui me le rend éminemment sympathique ! On partage des valeurs.
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