"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La narratrice retourne en Inde et se retrouve coincée à l'aéroport de Bahrein avec les autres passagers de l'avion. Ils sont dirigés pour la nuit dans un hôtel local. C'est là qu'à la cafétéria elle rencontre Meena. Meena vient de Berlin et se rend à Kaboul voir son père malade. Meena est née en Inde car son père afghan était marchand ambulant comme son père avant lui et tous les ans il partait pour l'Inde acheter des produits qu'il revendait à son retour jusqu'à ce que son épouse lui fasse comprendre que ce n'est pas une vie. C'est ainsi que toute la famille est partie au Kerala où est née Meena et Faiz son frère jumeau. Pourtant un jour ils sont obligés de revenir au pays, en Afghanistan. Meena raconte alors sa vie là-bas où elle et son frère ont tellement peiné à s'intégrer car pour eux, ils étaient indiens. Meena va à l'école. Elle veut rentrer à l'université et devenir physicienne mais une révolte étudiante puis la guerre ont eu raison de ses projets. Faiz retourne en Inde et elle, ses parents l'a marie à Ahmad un cousin. Elle n'a plus aucune nouvelle de son frère et lui en veut un peu. Ahmad et elle finissent par fuir le pays. Commencent alors les passeurs, l'exil, l'Allemagne, les difficultés pour s'intégrer, les difficultés pour trouver un emploi, un logement lorsqu'on ne parle pas la langue, une nouvelle culture. Ahmad, prof dans son pays se retrouve ouvrier à l'usine et elle, elle fait la cuisine à l'hôpital (elle deviendra plus tard aide-soignante). Elle rencontre heureusement une logeuse qui s'occupe des immigrés et les prend sous son aile. Cette femme a connu la guerre, la construction du mur, la RDA, la séparation familiale. Elle va beaucoup aider Meena et son mari dans leur intégration. Très beau roman.
Ce recueil, finaliste du prix Mallarmé 2019, nous entraîne sur les traces du passé, des empreintes de vie, fugaces ou encore dans « l’espace d’une question sans réponse ».
Cécile Oumhani explore ce passé à petites touches impressionnistes et nous donne à entendre des voix inconnues, comme celles de ces femmes qui « cherchent le passé/ dans leurs tasses de café ».
A travers cinq textes brefs, l’auteure nous fait entrer dans la nuit roumaine, là « où les vies s’égrènent, lentes répétitions d’espoirs bâtis par la nuit ». La nuit transforme tout, elle a ses couleurs, ses propres sons, fait entendre la musique d’un mariage.
Sur la route, on croise aussi des chevaux et des roulottes de bois, et ces visions « demeurent installées dans la nuit, signes fugitifs de mille strates logées dans l’épaisseur de nos vies ». Ainsi restent les traces, comme étoiles filantes, de ces gens croisés sans les connaitre.
Quelques-uns des poèmes sont proposés en deux versions : en anglais et en français. Comme « La photo » qui fait revivre des visages d’enfants près de leur mère. « Images précieuses restées des années à la dérive/ dans la profondeur du cours de mes jours/ portées par sa voix. » Et ces voix du passé sont « une promesse à tenir/ et une énigme à résoudre. »
Les mots de Cécile Oumhani sont choisis, ils ont leur subtilité et, parfois, se mêlent à des mots hindis : dhobi, juttés ou diwan.
Grâce à l’écriture, tout en finesse, nous traversons les nuits aux « incessants bruissements », et nous voyageons dans ces lieux obscurs où résonnent les voix du passé, ces lieux où « les langues sont des fleuves, les langues sont des montagnes ».
Cette méditation poétique est délicatement accompagnée de 6 encres de l’artiste plasticienne Liliane-Eve Brendel.
Une lecture emplie de douceur et de nostalgie avec le désir de découvrir d’autres textes de Cécile Oumhani.
L’exil a toujours existé. DE tout temps, des populations se sont déplacées espérant un avenir meilleur. Daoud Kaci vit à Tunis sous protectorat français et, bien entendu, certaines hautes fonctions lui sont interdites. Par ailleurs, son père le rejette parce que sa mère, lorsqu’il a voulu prendre une seconde épouse, malgré la promesse écrite faite, a été répudiée. C’est donc une nourrice qui s’est toujours occupée de lui avec tout l’amour dont elle dispose.
Pour tenter sa chance, trouver la liberté, il décide de partir pour l’Amérique à fond de cale en compagnie de miséreux comme lui, dont une jeune femme avec une fillette. Lorsque le temps le permet, il se retrouve sur le pont en compagnie d’autres candidats à l’immigration, un vrai melting-pot où l’on se parle avec les mains « Usant de gestes et de mots communs dans leurs deux langues,il fait connaissance avec Lazzru, le Maltais »… Même privé de paysage, d’arbres et de pierres, un filet d’humanité continue de couler, aussi chaud et nécessaire que le sang
Daoud s’intègre dans le quartier de Little Syria, retrouve cette jeune femme rencontrée dans le bateau à Little Italy. Le bonheur arrive, palpable. La vie n’est pas si facile, mais l’avenir parle, il a même américanisé son nom, Daoud Kaci devient Dawood Casey . Sauf que la première guerre mondiale est là, que les États-Unis entrent en guerre. Daoud Kaci est envoyé combattre dans l’Oise où il est grièvement blessé et se retrouve dans un hôpital de campagne.
Dans ses délires, il revoit sa vie d’avant. La méchanceté de son père, surtout à son égard ; L’amour et la bonté de Mouldia ; L’impossibilité, malgré son intelligence (il voudrait être pilote) de faire de hautes études sous le protectorat français « Mais pour qui se prennent-ils tous ? Un brevet de pilote. Et puis quoi encore ? Je vous le dis, moi. Ils ne savent plus rester à leur place. C’est plus fort qu’eux. Parce qu’ils ont traîné quelques années sur des bancs d’école. Ça y est, ils y sont. Ils se croient arrivés… Mais qu’on les laisse à leur Kouttab. C’est bien assez pour eux. » « Même les diplômes ne suffisent pas à lever les barrières que l’administration du protectorat oppose aux indigènes. Seuls les emplois subalternes de la fonction publique leur sont accessibles, et encore. Et s’il s’agissait seulement d’ambitions, de carrières... » La débâcle financière de son père, ses actions militantes contre le protectorat (il était porteur et créateur de tracts) la menace de plus en plus précise, lui font fuir sa Tunisie plus tôt que prévu.
Il paie le prix fort, comme beaucoup, pour devenir américain à part entière. Dawood, fauché dans un chemin de l’Oise, ne connaîtra jamais complètement le parfum du bonheur, ni son enfant à naître. Parti pour ne plus supporter le protectorat français, il meure sur la terre de France, le destin peut être cruel.
Le protectorat n’était pas tendre avec les indigènes, mot, qui à la base, signifie originaire du pays où il vit, mais devenu dans la bouche des dominants, homme de seconde classe ou sous homme, voire sauvage.« Je pense que vous feriez bien de parler aussi de l’arrogance du personnel européen des tramways envers nous, les « indigènes »… Vous avez raison…. D’ailleurs, nous avons aussi évoqué ces attitudes méprisantes. »,
Cécile Oumhani fait un portrait du début du vingtième siècle avec une écriture subtile, descriptive qui m’a rendue captive de ses mots qui parlent de l’arrachement au pays, de la langue perdue Au plus profond de ce qu’il est, c’est la musique de son arabe natal qu’il entend. Inlassablement.
A la lecture de ce livre, comment ne pas penser aux Syriens, entre autres, qui fuient leur pays, la mort sous les bombardement incessants, les gaz meurtriers ; à tous ces hommes et femmes à la recherche d’un sort meilleur.
Une belle lecture. Décidément, j’aime la plume de Cécile Oumhani et le travail des Editions Elyzad.
« S’il voulait dessiner la fresque des derniers jours qu’il passa dans son pays natal, il appliquerait des hachures grisées pour représenter les frustrations, les illusions brisées. »
C’est toujours un grand plaisir d’ouvrir un livre de Cécile Oumhani.
Kenza est devenue médecin avec le soutien de son père, enseignant, qui ne lui a jamais refusé l’accès à la bibliothèque familiale. Le seul problème, en plus d’être une femme, est qu’elle n’est toujours pas mariée et, dans la campagne tunisienne, ce n’est pas bien vu. Ses parents, son père y compris, aimerait la voir mariée avec enfants et ainsi perpétuer la tradition. C’est ainsi que se présente un ami de ses frères qui la demande en mariage. C’est un homme genre self-made-man qui se veut plus européen que tunisien et c’est ce qu’il apprécie en Kenza, une femme « moderne » et affranchie des diktats religieux. Soit, mais c’est quand même lui qui fait construire la maison où ils vivront sans en référer à sa future femme. Kenza ne se voit pas jouer les maîtresses de maison, pourtant elle accepte le mariage, surtout lorsque le fiancé lui accorde le droit de partir à Paris poursuivre ses études pour une spécialisation médicale dans la recherche, son souhait le plus cher.
En Tunisie, elle passe pour une femme affranchie, portant robe européenne et cheveux non couverts, mais arrivée à Paris, elle se perd, n’a plus les codes. Sa soif de liberté est prise au piège de son éducation. Elle se heurte à beaucoup d’obstacles qui sont en elle, son éducation ne lui permet pas de s’émanciper. Elle se cache derrière son travail, puis derrière un voile, elle qui trouvait arriérée ces femmes voilées. Bref, comme le hérisson, tous les piquants sont dehors alors qu’à l’intérieur d’elle-même c’est la pagaille, voire un gigantesque maelström. Même l’arrivée de Jacques, dans sa vie ne la dégèlera pas. Oui, ils sont très attirés l’un par l’autre, mais elle est fiancée au pays et, pour mieux fuir, elle s’enferme derrière son voile et ses tenues austères.
Ne se sentant pas à l’aise à Paris, une fois son diplôme en poche, elle retourne chez elle, toujours voilée. Son fiancé ne semble pas trop d ‘accord « Quand je t’ai connue, tu étais normale, enfin, tu t’habillais comme la plupart des femmes de ton âge… C’est ce qui m’avait pu en toi… Alors si tu veux te marier avec moi, il faut que tu enlèves ton foulard. »
A l’intérieur, toujours le Vésuve, la guerre. Un torrent de contradictions se déverse dans son âme, elle est perdue et donc, se referme encore plus sur elle. A son retour, elle apprend la mort de sa grand-mère maternelle Khadija, son repère, son phare qui lui permet d’aller au-devant des convenances tunisiennes et un rempart, une digue cèdent.
Le retour au pays permettrait-il d’y voir plus clair ?
Cécile Oumhani à travers le portrait de cette femme cultivée, active, fait le portrait de toutes les femmes, pas seulement arabes, qui veulent évoluer, changer leurs conditions. Les difficultés d’adaptation, le choc des cultures, la non possession des nouveaux codes de vie, font apparaitre les contradictions, les peurs, l’envie de retourner dans le cocon familial ou un autre abri. Elle nous montre combien il faut de force pour s’arracher de ce cocon. Elle n’oublie pas les femmes plus soumises, plus traditionnelle telle Zina, sa mère, l’étudiante portant foulard et robes ternes et, Khadija sa grand-mère.
Une fois de plus, je suis séduite par la plume de Cécile Oumhani qui nous fait mieux comprendre la Tunisie, l’écartèlement des tunisiens entre modernisme et traditions et, de ce fait, la montée de l’islamisation.
Les éditions Elyzad sont, pour moi, source de lectures très intéressantes ;
Une odeur de henné, initialement paru en 1999 est régulièrement réédité en format poche. Il faut savoir que ce format, chez Elyzad, est d’une très belle qualité.
Il n'y a pas encore de discussion sur cet auteur
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !