"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il s’appelait Mo Anthoine et son ami (l’auteur) Al Alvarez. Et comme il a fallu trente ans pour que ce texte soit traduit en français, ces gars-là sont morts depuis belle lurette. Mais, évoquons-les au présent, des hommes comme eux, on n’a pas envie d’en parler au passé. Je recommence donc. Il s’appelle Mo Anthoine et c’est un sportif comme je les aime. Un grimpeur. Pour lui, grimper, ce n’est pas faire de la compèt’ en tenue fluo ni être le meilleur pour se trouver à la une des journaux. Le paraître, il s’en fiche ! Non, ce qui l’intéresse, c’est se faire plaisir, avec des copains, des vrais, s’entraider, vivre des moments forts ensemble et aller ensuite au pub pour fêter le dépassement de soi que l’on vient d’accomplir. « En escalade, la seule compétition est avec soi-même… avec ses muscles, ses nerfs, sa force d’âme. C’est même en un sens une activité intellectuelle, à ceci près que vous devez penser avec votre corps. Chaque mouvement doit résulter d’une sorte de stratégie physique, en termes d’effort, d’équilibre et de conséquences. Comme une partie d’échecs avec son corps. » J’aime aussi l’idée que « l’escalade est une activité de paresseux : des salves concentrées d’efforts sur la paroi alternent avec de longues pauses sur les relais où l’on peut s’allonger, se détendre, fumer, admirer la vue ou pester contre la pluie. » Bref, ce gars, il me plaît bien !
Originaire d’un village gallois au pied du Snowdown, pas très scolaire, il s’est vite retrouvé sur le marché du travail apprenti gérant dans l’industrie du tapis. Dans le cadre de sa formation, on a eu l’idée géniale de l’envoyer suivre un programme d’activité en plein air. Il y a des hasards comme ça dans la vie.
Il a tout lâché.
Tout.
Pour l’escalade.
Et tous les sommets mythiques y sont passés : des Alpes à l’Everest, des Dolomites au Old Man de Hoy (un stack - morceau de terre qui s’est décroché du continent - de 137 mètres dans l’archipel des Orcades, nord de l’Ecosse, sur l’île de Hoy… franchement, allez voir sur Wiki à quoi ça ressemble…), des parois de glace de l’Ogre ( sommet de 7300 m sur une montagne située en Himalaya au Pakistan) à El Toro dans les Andes péruviennes en passant par le Gasherbrum (ensemble de sommets de plus de 8000 m au Pakistan), il est allé partout. Il fallait « nourrir la bête » : aller au bout de ses envies, ne reculer devant rien, tout risquer, se faire plaisir. Et je vous assure, quand il raconte ses grimpettes, on est heureux d’être tranquillou au fond de son lit. C’est tellement impressionnant ! On vit pleinement ses exploits, on se dit qu’il ne va jamais pouvoir s’en sortir. On tremble de peur, de froid. Les températures sont délirantes, les hauteurs de neige, n’en parlons pas, et ils avancent (on se demande comment) sur des parois de glace, dans le blizzard (et éventuellement avec des côtes cassées et des extrémités gelées.)
Le matériel est essentiel : cordes, casque, sangles, mousquetons, pitons, étriers, coinceurs… A tel point qu’il finira par créer sa propre entreprise de matériel. Des tentes résistantes et qui ne prennent pas l’eau. Même chose pour les vêtements. Réussir une ascension passe par des petites choses sur lesquelles il ne faut rien lâcher. Rester au sec en est une. Il a créé un casque, le Joe Brown, mais aussi une broche à glace en titane et un piolet à manche en fibre de verre. Et il y tenait à son matériel. Hors de question de laisser un coinceur dans une fissure !
Bon, à défaut de se lancer dans un dévers ou un dièdre au risque de faire une tête d’alouette si la fiabilité de votre lunule s’est révélée trompeuse, lisez ce livre ! Vous vivrez intensément et à moindres risques !
LIRE AU LIT le blog
Mo Anthoine (1939-1989) était un alpiniste britannique chevronné, qui n'a jamais voulu devenir professionnel, et qui, pour cette raison, est toujours resté dans l'ombre de certains de ses compagnons de cordée beaucoup plus médiatisés. Mo Anthoine n'avait cure de la célébrité et des feux de la rampe, pour lui, l'amitié comptait bien davantage : "Chaque fois que j'organise une expédition, je veux y aller avec mes potes. Lorsque les jeunes cracks de la grimpe choisissent leur équipe, ils regardent invariablement le palmarès et l'expertise technique au lieu de s'intéresser aux gens eux-mêmes. du coup, s'ils arrivent au sommet, ils feront la une de Mountain, et puis voilà – terminé. Mais si tu es parti en expédition avec des super gars, tu t'en souviens pendant des années. Même en Grande-Bretagne, je ne grimpe pas avec des gens que je ne connais pas, parce que je n'en tire aucun plaisir". L'amitié, le dépassement de soi, chercher sa dose d'adrénaline sans pour autant se mettre en danger de manière déraisonnable, prendre des risques mais sans jouer les têtes brûlées – un bon grimpeur est un grimpeur vivant : "La vérité, c'est que j'aime les climats qui ne pardonnent rien et où la moindre erreur se paie. C'est ça qui me fait vibrer. [...] Ça fait un bien fou. Je crois que c'est parce qu'il y a toujours un point d'interrogation sur ta performance. Tu te fais une idée de toi-même et ça peut être un sacré choc quand tu ne réponds pas à tes propres attentes. Si tu te contentes de faire ton petit bonhomme de chemin, tu peux penser que tu es un sacré gaillard, jusqu'à ce que les choses aillent de travers et que tu découvres que tu n'es pas du tout ce que tu croyais. Mais si tu te mets délibérément dans des situations difficiles, tu as une assez bonne idée de ta trajectoire. C'est pour ça que j'aime nourrir la bête. C'est une sorte de bilan annuel sur moi-même. La bête, c'est toi, en réalité. C'est l'autre toi, et elle est nourrie par le toi que tu crois être. Et ce sont souvent des gens très différents. Mais quand ils se rapprochent l'un de l'autre, c'est génial [...] il faut continuer de nourrir le monstre, juste pour ta paix intérieure. [...] Mais passer l'arme à gauche sans savoir qui tu es ni de quoi tu es capable, il n'y a rien de plus triste à mes yeux".
Al Alvarez tire ainsi le portrait de son ami, un homme hors du commun qui a tutoyé les sommets mythiques de la planète, de l'Amérique du Sud à l'Himalaya en passant par le Pays de Galles et les Alpes, qui a failli y laisser la vie plusieurs fois, et qui en a sauvé plusieurs autres. Un type extraordinaire mais modeste et simple qui, quand il ne court pas les montagnes, fait prospérer avec sa femme son entreprise de matériel d'alpinisme ou va jouer les doublures de Stallone dans Rambo III.
Entre expéditions épiques et détails de la construction laborieuse de sa propre maison, j'ai découvert une personnalité en acier trempé, dont je n'avais jamais entendu parler. Je ne connais quasi rien à l'escalade, je lui préfère de très loin la randonnée, et j'aime la montagne, sa beauté, sa puissance et son immensité. C'est pourquoi j'étais curieuse de lire ce portrait et de rêver aventure et paysages grandioses.
Je reste un peu sur ma faim, parce que si le livre, qui se lit très vite, est intéressant, j'ai trouvé qu'il était trop anecdotique, factuel et technique, et ne creusait pas assez la psychologie du personnage. le style m'a semblé assez quelconque, ce qui est dommage pour un auteur présenté d'abord comme un poète. Heureusement, quelques traits d'humour anglais donnent un peu de relief à ce "portrait d'un grimpeur".
« Nourrir la bête", c’était l’expression de Mo Anthoine pour expliquer ce qui le poussait à dépasser ses limites, à toujours forcer la machine pour grimper : « J’aime nourrir la bête. C’est une sorte de bilan annuel sur moi-même. La bête, c’est toi en réalité. C’est l’autre toi, et elle est nourrie par le toi que tu crois être. Et ce sont souvent des gens très différents. Mais quand ils se rapprochent l’un de l’autre, c’est génial. Là, la bête a bien mangé et tu sors de là avec la forme de ta vie ».
Mo Anthoine, de son nom véritable Julian Vincent Anthoine, n’est pas le grimpeur le plus connu de l’alpinisme britannique. Pourtant, la plupart du commun des mortels l’a vu à l’écran : il a été la doublure de Sylvester Stallone dans Rambo III et de Jeremy Irons dans Mission. Mais la gloire ne l’intéressait pas. Il escaladait pour son plaisir et pour se retrouver avec ses copains sur les parois de l’amitié. Grande différence avec Doug Scott et Chris Bonington qui pourtant échappèrent à une mort certaine lors de l’ascension – et surtout de la descente – de l’Ogre grâce à au courage et à la vaillance de Mo Anthoine.
Le grimpeur était né en 1939 à Kidderminster et son enfance passé auprès d’une marâtre – il n’avait que 4 ans lorsque sa mère a quitté ce monde – a certainement forcé son désir de s’émanciper au plus vite, de s’évader car ne se sentant bien qu’en dehors de chez lui. Il découvre l’escalade à 19 ans et sera toujours emporté par cette envie de prendre de la hauteur. L’Europe, l’Afrique, l’Asie, peu de massifs, de falaises n’auront pas eu la joie de sentir les doigts de Mo dans leurs entrailles.
Avec son ami et collègue Joe Brown ils développèrent l’esprit d’alpinisme, « un bon grimpeur et un grimpeur vivant » et créèrent ensemble à Llanberis, au Pays de Galles, l’entreprise Snowdon Mouldings pour produire du matériel d’escalade à commencer par les casques de sécurité qui ont fait date. Escalader les parois est toujours resté un plaisir et jamais une compétition, d’ailleurs pour Anthoine l’intérêt était dans le parcours et non d’arriver au sommet, avec inlassablement une cordée de l’amitié, aussi bien dans les moments de liesse que dans les sauvetages.
Un récit narré avec brio et dynamisme par celui qui fut souvent son compagnon des montagnes et qui rend parfaitement hommage à non seulement le sportif et l’homme, mais aussi à l’amitié, à l’intégrité et à cette valeur inestimable, celle du refus de la gloire. Nourrir la bête est un ensemble de pitons accrochés pour chaque lecteur, sportif ou simplement fasciné par cette vaillance de la conquête des cimes, et, qui permet de mettre en lumière ces héros qui refusent de l’être.
« Si l’expédition est médiatisée, il est possible que les grimpeurs en quête d’attention marchent sur les pieds des autres, et tout est sacrifié pour le sommet. Moi, je ne trouve pas qu’arriver au sommet soit si important. Tu peux toujours avoir une deuxième chance. Ce dont tu te souviens après une expédition, ce n’est pas le moment où tu es debout au sommet, mais ce que tu as traversé pour y parvenir. Le sentiment le plus agréable est de savoir que tu comptes sur quelqu’un d’autre et qu’il compte entièrement sur toi ».
Blog Le domaine de Squirelito => https://squirelito.blogspot.com/2021/07/une-noisette-unlivre-nourrir-la-bete-al.html
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