"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un casse à Saint-Germain-des-Prés qui tourne mal. Un braqueur au tapis, Simon, flingué à bout portant par deux princesses saoudiennes qui se tirent avec le butin... Paul en réchappe et s'enfuit sans comprendre... Ailleurs, une femme s'immole en chuchotant un poème. Puis c'est au tour des autres, les amis de Paul, de mourir au son des rimes : écrasé, flingué sur les vers de Verlaine, suriné, étouffé en écoutant Rimbaud... Tous d'anciens anars rescapés des temps d'avant... Avant la semaine sanglante... Avant que l'eau noire de la Seine ne réveille des souvenirs oubliés... Avant le temps des assassins...
Verdet trucide avec l'élégance involontaire des timides... Il cadavérise avec la réserve polie des autodidactes.
Tout commence par un casse dans une bijouterie qui devait être celui du siècle, ultra rapide et efficace! Naturellement, rien ne se passe comme prévu et Simon, l'un des deux protagonistes est tué à bout portant par deux personnes vêtues d'abaya laissant juste apercevoir leurs yeux.
On suit alors la route de Paul dans sa recherche de la vérité, route jalonnée des cadavres de ses amis au son des vers de Verlaine et Rimbaud pendant 7 jours de mai qui font écho à la Semaine sanglante.
Un polar noir, efficace, tout en gouaille, qui nous promène dans les ruelles de Paris et jusqu'aux confins de la Russie.
D'autres personnes étrangères au trio meurent de meurtres déguisés en accident ou en suicide. Agnès, internée, meurt brûlée, Georges sous les roues du métro, ... Tous les morts entendront avant de succomber, susurrés à leurs oreilles des vers de Rimbaud.
Voici un roman noir totalement original si ce n'est dans son intrigue au moins dans son scénario et surtout dans ses personnages. Le premier truc, c'est déjà de s'habituer à la narration très particulière de Gilles Verdet qui alterne le langage oral, l'argot, la poésie. J'ai mis un peu de temps, j'ai même tenté de sauter des paragraphes, mais test inutile car irréalisable tant cette écriture vous tient malgré la -très- relative difficulté du départ à s'y faire. C'est une putain de belle langue qui impose son rythme et qui oblige à lire tous les mots, je découvre un auteur amoureux des mots, à la plume envoûtante.
Si en tant que lecteur de polars j'ai déjà pu rencontrer semblable intrigue, j'avoue que sa mise en condition m'a bluffé. Rimbaud et Verlaine sont très présents, des vers d'iceux sont cités, ils font partie de l'explication finale. La Commune de Paris, cette révolte de 1871 est omniprésente également, et comme c'est une période sur laquelle j'ai lu et continue de lire (Le cri du Peuple de Jean Vautrin, notamment dans sa version BD de Tardi est excellente), j'ai été irrémédiablement attiré et scotché par ce roman. L'ombre des combattants des barricades flotte sur ce livre ainsi que celle de leurs bourreaux, de Galliffet par exemple ; la Semaine sanglante (du 21 au 28 mai 1871) sert de base historique. C'est un roman noir mélancolique, Paul se balade beaucoup dans les rues parisiennes en essayant de comprendre pourquoi on meurt brutalement autour de lui. Il fait des rencontres, notamment celle de Jean-Philippe Gallet un historien qui l'aidera à comprendre cette période troublée. J'ai appris ainsi l'existence du groupe d'artistes Les vilains bonshommes qui a compté brièvement dans ses membres, Arthur Rimbaud. Je ne suis pas spécialiste du poète, n'ayant pas biberonné à ses vers, je ne suis qu'un piètre connaisseur et amateur de poésie, mais j'avoue que j'ai été embarqué dans cette histoire.
Le suspense tient autant dans l'intrigue que dans les questionnements liés aux personnages : qui sont-ils ? A quoi jouent-ils ? Aucun d'entre eux ne correspond aux stéréotypes de son genre. Ils ont tous un côté mystérieux voire étrange et secret, ce qui est un pur plaisir de lecteur. Les stéréotypes, il en faut, surtout dans le polar, mais lorsqu'ils sont détournés, c'est encore mieux.
Un roman noir avec un fond historique, une langue qui scotche les lecteurs, des personnages qui ne font pas forcément ce qu'on attend d'eux, que demander de plus ? Rien.
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