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Ce n'est que récemment que je me suis rendu compte que, depuis que j'ai commencé à photographier, je me suis toujours intéressé à la notion de frontière. Il était donc fatal qu'un jour j'en arrive là, à Tanger : Tanger, la ville-frontière par excellence.
D'abord géographiquement : carrefour et frontière entre le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest, l'Europe et l'Afrique, la Méditerranée et l'Océan Atlantique... Mais aussi et avant tout métaphoriquement, symboliquement : frontière entre le réel et le fictionnel. Tanger la ville-mythe, la ville-théâtre, la ville-cinéma. Mais aussi : la ville-arnaque, la ville-contrefaçon.
Il me semble en effet que, pour les touristes qui visitent cette ville et pour ceux qui s'y sont installés plus ou moins définitivement, la dimension du désir - du fantasme - ne va pas sans un certain degré de déception. Comme pour tout objet fantasmé, l'expérience se révèle toujours déceptive.
Il y a des mots qui reviennent souvent lorsqu'on parle de Tanger : fiction, mythe, théâtre, mise en scène, opérette... Et des noms d'écrivain, d'artistes, d'acteurs ou de personnalités mondaines, comme des divinités tutélaires du lieu (divinités décadentes pour la plupart, à l'image de la ville) : Paul Bowles, Claudio Bravo, les Polling Stones, William Burroughs, Mohamed Choukri, Barbara Hutton etc.
Dans Tanger fait son cinéma, Patricia Tome écrit :
« ... Et puis il y avait ceux et celles qui décidaient de rester là, plantés face aux quatre coins cardinaux, ni exilés, ni émigrés, simplement des voyageurs errants sans billet de retour, des baladins en transit, des artistes nomades qui, à force de vouloir témoigner de l'exotisme du lieu et de leur mode de vie, avaient construit leur ville-légende, leur mythe et fait de leur existence une représentation permanente dans un décor de cinéma. Tanger était devenu l'écran de leur réalité (...). Ils évoluaient dans un scénario entre réalité et fiction. La ville du Détroit leur offrait une scène d'exception, un théâtre grandiose à ciel ouvert ».
C'est ce « scénario entre réalité et fiction », ce « décor de cinéma » que j'ai tenté de porter à l'image dans ce travail qui m'a absorbé pendant trois ans.
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