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Si, pour la postérité, au nom de la patrie reconnaissante, un graveur a réuni Rousseau et Voltaire conduit par un génie commun au temple de la gloire et de l'immortalité, de leur vivant, ces deux-là se détestèrent passionnément jusqu'à la déraison.
Cela commence par de la fausse révérence de la part de Rousseau et de l'ironie piquante de la part de Voltaire, pour finir par une querelle de voyous philosophes. Si l'on devait user de comparaisons sportives, ce combat du siècle s'ouvre par une joute d'escrime démouchetée et finit par une rixe avec son arrachage d'oreille à la Mike Tyson.
En effet, cette haine réciproque va s'exprimer avec une rare inventivité : lettre privée rendue publique circulant dans les salons, sans l'accord préalable du destinataire, lettre anonyme, ou signée par un auteur de fantaisie, lettre attribuée à un tiers, colportage de rumeurs calomnieuses, dénonciations, délations - dont certaines auraient pu avoir des conséquences judiciaires dramatiques.
En somme, ces deux-là se sont pourris la vie.
Néanmoins, leur aveuglante détestation n'est pas sans raison. Ils perçoivent chez l'autre, derrière le génie philosophique, le génie civil qui va, pour bâtir un nouveau monde, détruire le monde féodal où chacun d'eux tire son assise et un reste de préjugés. Ils sont lucides sur le caractère explosif contenu dans l'oeuvre de l'autre, et peut-être plus encore intuitivement anticipent-ils que l'addition de leurs substances va produire une sorte de nitroglycérine philosophique.
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