"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Joachim, coincé en haut de sa tour HLM ou derrière le comptoir d'une station-service, survit en automatique. Il enchaine les cuites et les défaites, s'abandonne à la grisaille : ses parents, son taf, la mouche qui squatte son appart, ses découverts. Seuls moments de répit, l'alcool et la compagnie de Julie, son luxe mensuel. Mais deux piliers de bars, Dédé et Dewaere, viendront bousculer sa routine. Commence alors une amitié improbable, brusquement endeuillée mais lumineuse. Le road-trip dans lequel sera embarqué Joachim, arrosé de Johnny et de requiem, devient une véritable quête vers la joie, sous les auspices de Dionysos.
Engagé, sociologique, finement politique, serré comme un café fort, « Rien à foutre » est pétri d’humanité. Un livre dévorant, le feu de St Jean, chaleureux et émouvant.
Il est un saut dans la flaque des aspérités et des rêves blessés.
La fiction fuit. De dos, elle laisse son ombre glisser subrepticement, sur l’asphalte des cruautés.
Fébrile et attachant, on est dans les mailles d’un récit éperdument beau et triste.
« Rien à foutre » et ses clochards célestes. Ces hommes dont l’intégrité est un modèle.
L’écriture poétique, musicale, dont on ressent les palpitations magnétiques des existences meurtries.
Ce livre est un cri dans la nuit noire. L’éveil à la simplicité, à l’authenticité. La marginalité comme un lâcher de crayons de couleur.
« Sonnerie de téléphone. Réveil brutal. Joachim se jette sous la douche et lave son corps osseux. Face au miroir sale, une nuit de plus vient creuser son regard ; comme un gamin, il se demande combien de nuits son visage peut encaisser avant de ressembler à une momie ».
Joachim est un jeune homme de trente ans. Il travaille sur une aire d’autoroute. Il côtoie du monde mais la solitude est son pain quotidien. Il est fragile. Il ressent la vie comme un mensonge. Il aspire à autre chose, mais ignore où se situe son désir. Il est en quête de tendresse. Le miroir flouté par une enfance où il était un poulbot tabassé par son père. Un alcoolique, un homme qui, maintenant, ne sort plus de chez lui. Regarde la télévision à longueur de temps et vote F.N. Une mère soumise et effacée. La parole inexistante et la filiation arrachée à coups de dent. Joachim mène sa vie comme le radeau de Géricault. Il est brisé. Jusqu’au jour où fortuitement il pénètre dans un Bar-Tabac pour chercher des cigarettes. Il va rencontrer Dédé et Dewaere. Deux Diogènes, illustres comparses, assoiffés de complicité et d’amitié. Joachim va ressentir la véritable hospitalité. Être considéré et reconnu comme un être de chair et d’os. Le front lourd de cette pluie fine et silencieuse deviendra peu à peu un arc-en-ciel.
Le microcosme étincelant, le panache de la réalité. La trame est une immersion dans ce qui tremble de bonté. Les regards des belles personnes, la véritable magnanimité, les vrais gens comme une boussole sur le cœur de Joachim. L’égaré des doutes et des souffrances.
La musique comme une écharpe autour de son cou. Une vertu celle de Dewaere, qui acclame la virtuosité, la théologale force des sons. Joachim va revivre.
« Là, c’est le moment de musique gamin…- Avec Celibidache tu sens le son, tu vois des couleurs ; on peut parfois lui reprocher sa lenteur, mais indéniablement il place toujours l’auditeur au centre du son, alors les symphonies deviennent des cathédrales dont tu ne sors jamais indemne ».
« Rien à foutre » et tout s’inverse, mute et se métamorphose. La noria des oiseaux noirs, devient celle des migrations. Joachim et Dewaere, complices et soudés. L’osmose d’une camaraderie liane. La pudeur sentimentale est une aurore boréale. On ne lâche pas des yeux ce qui rayonne dans ce grand livre.
« À bord de cette caisse propulsée à 150 km/h, sous une nuit sans lune, Dewaere et Joachim se sentirent en vie. Un court instant, il leur semblait même qu’ils étaient trois ».
L’amour fraternel comme du baume sur le cœur de Joachim. La résilience est une main tendue que Joachim retient sans même le savoir. L’inné des magnanimités. Le passage du gué et l’épiphanie d’une renaissance. « Rien à foutre » est un hommage à ceux d’en bas qui vivent le haut. Le triomphe d’une rédemption.
Écoutez : « Les banalités qu’ils s’échangeaient étaient la plus belle littérature qu’il lui ait été donné d’entendre. Un « ça va ? » du Dostoïevski, un « j’ai pensé à toi » du Camus, un « Quand est-ce qu’on se voit ? » du Sontag.
Ce livre est une musique fondamentale. Un livre qui rend vivant. Sans espace pour la crainte, « Rien à foutre » de Matéo Lavina est d’une sensibilité voluptueuse, comme un ballet de papillons de nuit. Un premier roman qui dépasse largement ses grands frères. La polyphonie d’un texte merveilleusement déplié. Une fierté éditoriale. Publié par les Éditions du Delf. En lice pour le prix Hors Concours des Éditions indépendantes 2023/2024. « Sic itur ad astra ».
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