"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le roman de Margaret Drabble se déroule entre l'Angleterre et les îles Canaries. Fran Stubbs, septuagénaire employée par une organisation caritative, sillonne son pays afin d'inspecter des résidences pour personnes âgées lorsqu'elle n'apporte pas des plats faits maison à Claude, son ex-mari, perclus dans la maladie. Elle puise son énergie au contact de ses jeunes collègues sans pour autant en oublier ses amies. Si Fran vit avec son temps, se soucie des conditions de vie de ses pairs, elle n'en maudit pas moins une époque qui prolonge la vieillesse au-delà de ce qu'elle croit compatible avec la dignité humaine.
Entre La Vieillesse de Simone de Beauvoir et Happy Days de Samuel Beckett, Margaret Drabble offre au lecteur, dans un style vigoureux et non dénué d'humour, une réflexion profonde sur « le flot sombre » (selon les termes de D. H. Lawrence). Les tourments de la vieillesse sont combattus avec force par des personnages qui, dans leur volonté de vivre - joyeusement parfois, dignement toujours - le reste de leur existence, savent conserver diverses formes de liberté afin de supporter les désagréments de la maladie. Ce texte brosse avec bienveillance un portrait caustique et plein d'esprit du troisième âge.
Belle métaphore de la mort que ce « flot sombre » tiré d’un vers de D.H.Lawrence, flot sombre qui monte chaque jour un peu plus…
Recherches sur Internet : Margaret Drabble. Tiens, j’aime bien ce visage un peu rond et sa coupe au carré. 77 ans, diplômée de littérature anglaise à Cambridge. Ah, sa sœur aînée est Susan Byatt ! Quelle famille ! 18 romans. Je lis sur Wikipédia : « Ses personnages principaux sont le plus souvent des femmes. Le réalisme de leur portrait renvoie souvent aux expériences personnelles de l’auteur. » Un seul livre lu de cette femme et je suis déjà tentée de confirmer. Spécialiste d’Arnold Bennett et d’Angus Wilson. Le premier, je connais (enfin, si « connaître » consiste à posséder un livre non lu dans sa bibliothèque !!) : j’ai donc L’escalier de Riceyman dans ma bibli.
Vu l’avalanche de citations et de références littéraires contenues dans le livre de Margaret Drabble, j’ai du pain sur la planche…
Alors, le sujet ?
Son histoire, j’imagine, son histoire de vieille universitaire anglaise qui sent que la fin est proche, qui apprend chaque jour la disparition d’un ami, d’un collègue… Le corps qui fatigue, les enfants qu’on voit rarement, la volonté encore de faire mille choses tout en sachant que le temps presse, l’envie de lire ce que l’on n’a pas lu… L’âge du bilan, du regard en arrière.
Il y a beaucoup de nostalgie dans ce roman qui met en scène quelques universitaires à la retraite dont on fait connaissance au fil de la lecture.
La plus sympathique, selon moi, c’est Francesca Stubbs, dite Fran. Toujours sur la route, visitant çà et là, avec toute l’énergie du cœur (à moins que ce ne soit celui du désespoir…) des maisons de retraite afin d’améliorer « le logement des personnes vieillissantes ».
Elle travaille pour la Fondation Ashley Combe et doit rendre des rapports sur tout ce qui est mal conçu et pourrait occasionner un accident. Elle-même est bien persuadée qu’elle finira écrasée contre un platane ou un camion. Mais bon, son petit plaisir, c’est de traverser les paysages, dormir dans les hôtels Premier Inn et se faire servir de délicieux œufs au plat au petit-déjeuner.
Elle habite une tour londonienne dont l’ascenseur est souvent en panne. Mais, de là-haut, les nuages sont merveilleux. Elle les contemple, un petit verre d’alcool à la main. « Elle supporte les gris couverts et menaçants de l’hiver, les ciels ternes et monotones de février, et attend le spectacle inaugural du printemps. Élever, sublimer, transcender, voilà ce que cette vue dit à Fran. » Hors de question pour elle de se ranger en résidence pour seniors ! Ça, c’est pour les autres ! Elle traverse régulièrement Londres pour livrer de délicieuses soupes au poulet à son ex mari, malade et alité, vivant dans une very, very expensive maison pour seniors dans le quartier de Kensington. Il semble être heureux, écoute Classic-FM, son chat Cyrus sur les genoux et plaint tous ceux qui restent coincés dans les embouteillages alors que lui est bien tranquille loin de toute cette vaine agitation.
La copine de fac, c’est Joséphine Drummond dite Jo. Elle vit dans une résidence pour seniors appelée « Athene Grange », à Cambridge. Jo travaille, quant à elle, sur… accrochez-vous bien… le personnage de la sœur de l’épouse défunte dans la littérature : « fascinant une fois qu’on y est plongé » assure-t-elle. On la croit sur parole !
Elle anime aussi un club de lecture, mais travailler sur Elizabeth Taylor ou Barbara Pym ne l’emballe pas plus que ça. Elle préfère la poésie ! Elle entraîne Fran au théâtre : on y joue Oh les beaux jours de Samuel Beckett… Pas sûr qu’aller voir la vieille Winnie dans son tas de sable remonte le moral des troupes ! Mais bon…
Tous les jeudis, elle se rend chez son voisin Owen (ancien prof de littérature anglaise lui aussi), homme délicieux qui « préfère parler de livres que de parler de gens ». Lui, il étudie les paysages de nuages chez Gerard Manley Hopkins, Thomas Hardy et John Cowper Powys. Je peux vous dire que Margaret Drabble est une sacrée lettrée : les références littéraires abondent et m’impressionnent, je dois bien l’avouer ! Mais, je vous l’ai déjà dit ! (Tiens, maintenant, je me répète ! Mauvais signe…)
Que font Jo et Owen… non, non, pas ce que vous pensez (et puis, ils font ce qu’ils veulent d’ailleurs !) Eh bien, ils boivent un p’tit apéro : dans le désordre : scotch, bourbon, whisky de seigle, vodka (rarement, c’est moins bon), Martini dry, Brandy Alexander… Pas tout à la fois, bien entendu….
Il y a aussi ceux qui sont partis sur les îles Canaries : Ivors Walters qui veille sur son conjoint de toujours Bennett Carpenter. Ils prennent le soleil, fréquentent les intellos du coin, reçoivent de la visite. Ils « ont brûlé leur vaisseau » et pensent ne jamais repartir sous des cieux plus ternes.
Après avoir travaillé sur une histoire de l’Espagne, Bennett avait pensé écrire une vie du général Lyautey mais finalement, il s’est rabattu sur une Brève histoire des Canaries. Que de projets… Voilà tout ce petit monde et j’en oublie bien sûr !
Ils sont touchants dans leur agitation, leur volonté de continuer comme avant, tout en sachant que tout n’est plus possible parce que le corps ne suit plus, que la fatigue gagne du terrain et que la mémoire s’effrite : « C’est étrange, comme on se rappelle des fragments de mots, mais pas toujours les mots eux-mêmes, constate Fran. Les noms propres disparaissent en premier (oui, ça j’avais remarqué, merci) puis les noms abstraits, puis les noms, puis les verbes. »
Difficile d’accepter de se diriger vers la sortie, de guetter les signes de faiblesses qui apparaissent plus nombreux chaque jour…
Encore une fois, Quand monte le flot sombre est un roman empreint de nostalgie, une réflexion sur l’existence et la mort. Un sujet difficile traité avec beaucoup d’humour, heureusement… Tragique et drôle à la fois…
Une œuvre sans réelle intrigue, simplement le plaisir de retrouver les personnages, jour après jour. Quelques longueurs, il est vrai mais qui ne m’ont pas empêchée de goûter ce tableau très juste des retraités du XXIe siècle, branchés sur Internet, lisant le journal sur leur Kindle, parcourant le monde et commençant des thèses sur des sujets capables de les occuper une bonne dizaine d’années. Mais, me direz-vous, c’est précisément cela qui les fera vivre… une bonne dizaine d’années et plus (si affinités…)
J’admire d’ailleurs cette énergie qui les porte à lutter contre le courant.
La passion, paraît-il, rend immortel… alors pour nous, lecteurs que nous sommes, pas de soucis, on en a pour un bon bout de temps !
Lireaulit: http://lireaulit.blogspot.fr/
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