"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Ambitions personnelles, manoeuvres électorales, règlements de comptes internes aux partis, suspicion portée sur toute une classe politique du fait des malversations avérées de certains de ses membres, mondanités parisiennes, fascination pour l'homme fort ou providentiel, pour la vie privée des dirigeants aussi, rébellions contre l'arrogance de la caste au pouvoir, contre les taxes, contre la censure, exigence de plus de démocratie, insurrections embrasant la rue, irrépressible voix des foules... Assurément, nous n'avons rien inventé : ce panorama de nos moeurs politiques est trait pour trait celui qu'ont dessiné les écrivains du XIXe siècle, qui dans ce paysage neuf d'une république naissante ont tout décrit de ce qui fait notre actualité.
On se souvient de Lucien Leuwen et d'Eugène de Rastignac, d'Eugène Rougon et de Bel-Ami, mais au-delà de ces figures emblématiques c'est toute la société de leur temps, et tous les rouages de la démocratie représentative que Stendhal, Balzac, Zola ou Maupassant, ces pionniers du roman politique, ont impitoyablement analysés.
Pour qui veut comprendre les mouvements sociaux d'aujourd'hui, le discrédit de la parole publique, les mensonges des uns, la révolte des autres, il n'est que de lire L'Argent ou Le Député d'Arcis...
http://encreenpapier.canalblog.com/archives/2020/10/07/38570796.html
Personnellement, je trouve le rapprochement des romans du XIXe siècle aux mœurs politiques plus ou moins récentes, douteuse. En effet, sans trop de difficulté nous pourrions tous trouver des échos du présent dans le passé, y compris dans la littérature, ce qui tend à rendre le concept un peu fantaisiste. Toutefois, le sujet m’a paru assez intéressant pour avoir envie de lire ce livre, et même y prendre plaisir.
A commencer par le plus simple des plaisirs, qui est la (re)-découverte des classiques et de ces gens qui ont pu les inspirer, donnant ainsi une autre possibilité de lecture que le simple divertissement sur ces œuvres.
Pour les choses plus actuelles, comme déjà dit, le livre tend à rechercher dans les romans passés la continuité des origines des politiciens et leurs ressemblances. Ce livre va donc forcément nous éclairer sur le parcours, les actions, la manière de s’exprimer, etc. de nos politiciens actuels. Nous allons ainsi pouvoir noter et remarquer, les mêmes us et coutumes chez les grands de ce monde avec le passé, mais aussi l’évolution qu’il y a eu au fil du temps. Car en effet tout n'est pas que ressemblance, comme en atteste l'art de l’éloquence qui s’est plus que perdu aujourd'hui. Néanmoins notons que certaines choses dans ce domaine ne changent pas :
« Ernest Hamel parle quant à lui d’un “langage emphatique et banal”.
Flaubert ironise sur l’emploi des images toutes faites lors de sa description de la prise de parole du conseiller de préfecture, dans la célèbre scène des comices agricoles de Madame Bovary : “Nos ports sont pleins, la confiance renaît, et enfin la France respire !”
Dans sa prise de parole qui conclut Son Excellence Eugène Rougon, le personnage principal, revenu en grâce, utilise les « images impressionnantes » préconisées par Gustave Le Bon […]. » p. 40-41
« La nécessité de saisir l’instant favorise les postures plutôt que les argumentations subtiles, et confines parfois au burlesques, voire au grotesque. » p. 37
Toutefois n'allez pas imaginer que ce livre n'est qu'un simple comparatif entre les époques et les politiciens. Car en effet, ce dernier va au final nous éclairer sur l'art subtil de la politique. Certes, ce bouquin n’est pas une analyse politique - encore que par moment ça frôle le sujet, notamment quand l’auteur dit cela :
« On s'étonnera peut-être que cette étude soit peu prolixe sur la question des idéologies : c'est que, pour l'homme politique, la carrière prévaut sur les idées. Celles-ci ne sont, en réalité, qu'un affichage nécessaire, un moyen pour atteindre un poste, un rôle qui doit refléter au mieux "l'air du temps". Le dire n'est pas faire preuve de cynisme, mais de lucidité. L'objectif premier est de conquérir le pouvoir, puis de le conserver. Sinon, comment comprendre que le mauvais résultat des Républicains aux élections européennes de juin 2019 ait conduit des maires à quitter leur parti, moins d'un an avant les municipales de 2020 ? [...] Comment comprendre que François Mitterrand, foncièrement homme de droite, par sa famille, sa formation, ses adhésion partisanes de jeunesse, parvienne en 1981 à incarner la gauche et le progrès social ? » p.79
Ou encore ceci :
« Fidèle à la tactique de ses maîtres en politique, il se gardait de prononcer une phrase compromettante, d’écrire une lettre significatif. […] Le seul esprit qu’il eût, c’était l’esprit d’intrigues. » p. 129
Néanmoins, il n'en reste pas moins vrai que grâce à cette étude, nous pouvons mieux cerner certaines positions et certains comportements des politiciens en politique, par exemple comme celui d'être attaché au petit chef-lieu de campagne afin de montrer son intérêt pour le petit peuple.
Outre la sphère publique, notons que la sphère privée n’est pas non plus omise, puisque par exemple la question des femmes est aussi abordée en montrant leur rôle officieux, ainsi que la difficulté pour elles d’être les femmes des hommes reconnus. Les maîtresses sont là aussi.
Ajoutons à cela, que les magouilles, les critiques, le peuple calme ou la foule bruyante... sont autant de problème abordés. Et là aussi, sans se départir de sa méthode comparative et analytique, Maryan Guisy va nous démontrer encore une fois que rien de notre actualité est récent.
Mais au-delà de tout cela, ce qui est intéressant à noter, c’est finalement cette réflexion que l'auteur offre sur la politique. Éternel recommencement, inventive, mais possédant également une continuité des combats et des idées, Maryan Guisy nous offre cette capacité de voir que l’époque n’a rien inventé et que tout est en perpétuelle construction.
En conclusion, ce livre peut paraître un peu fantaisiste et pourtant, dieu qu'il est intéressant ! Même si ce n'est pas une analyse politique, il y a des clés pour comprendre certains comportements tout en offrant une nouvelle lecture des classiques. Sans langage abscons et avec fluidité, c'est un bonheur de se plonger dans ce livre qui nous offre une autre lecture sur les époques.
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