"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Elle a tué un homme, son mari. Elle sort de prison, quinze ans après. Mais, après avoir purgé sa peine, a-elle vraiment retrouvé la liberté ? Être une femme en Algérie est déjà propice à l'enfermement et au silence. Être une femme condamnée pour avoir ôté la vie d'un homme est au-delà des mots.
Une femme, qui se présente comme chercheuse, fait irruption dans sa vie. Jour après jour, par la force de la parole retrouvée, ces deux femmes que tout sépare vont à la rencontre l'une de l'autre.
Un roman sur la violence ordinaire d'une société qui ne pardonne rien aux femmes, sur la violence réelle qu'une femme peut subir dans la honte et la douleur - jusqu'à ce que, parfois, elle commette l'irréparable.
Deux femmes face à face, l'une écrivaine qui vient écouter on ne sait trop pourquoi - l'autre murée dans le silence après des années de prison. Petit à petit l'histoire de la 2e va se révéler, grâce à cette construction littéraire qui en fait un livre très fort, sur la solitude, l'oppression, la violence. J'ai beaucoup aimé
"une enfance solitaire, sans amour,
une mère autoritaire, abusive parfois,
des frères qui portaient leur attributs de mâles avec
une assurance tranquille
un père absent, déconnecté de la réalité,
une difficulté presque congénitale à trouver sa place
dans la famille puis dans la société,
et enfin un mari qui correspond presque exactement
au portrait-robot des hommes classés dans la catégorie
prédateurs violents."
En lisant la quatrième couverture de ce roman, je ne pouvais pas passer à côté de cette lecture sur un thème aussi important :
La violence faite aux femmes.
Une femme a purgé 15 ans de prison, pour le meurtre de son mari.
A sa sortie, elle rentre chez elle, dans son appartement désormais vide.
A sa grande surprise, une auteure l'aborde et lui demande de lui raconter sa vie ayant le projet d'écrire un roman.
Elle accepte.
Timidement et avec pudeur, elle raconte ce qu'a été sa vie jusqu'à sa sortie de prison, à travers sa voix et des lettres écrites de sa main comme un journal intime.
Onze lettres seront écrites dans la douleur du passé.
Elle en sortira plus forte, comme une renaissance et surtout comme une vraie libération.
Premier roman que je lis de Maïssa Rey, une auteure engagée dont l'écriture est très belle, poétique et délicate.
Dans Nulle autre voix, ce sont des textes percutants et vibrants.
En voici quelques uns ci-dessous.
"Dès la première nuit, dès la première bouffée de haine, j'ai souhaité sa mort. J'en ai rêvé. Oui, des centaines de fois, j'ai rêvé pour lui un attentat terroriste, un accident quelconque, des mauvaises rencontres, une maladie incurable assortie d'une longue et douloureuse agonie. J'ai souhaité de toutes mes forces qu'il rôtisse en enfer, lui, l'homme pieux toujours prêt à exhiber sa foi et qui avait pris à la lettre le verset dans lequel il est dit qu'un homme se doit de corriger son épouse s'il considère qu'elle se montre récalcitrante"
"Pour moi, la première violence est de s'arroger le droit de disposer de l'autre, du corps de l'autre. Au nom d'une supériorité légitimée par la naissance, le sexe, l'argent, la position sociale ou encore par des lois humaines ou divines."
"J'étais là pour servir, pour lui servir. Pas pour lui tenir compagnie. A ses yeux, je n'étais qu'un instrument multifonctions, polyvalent, programmé pour assurer son bien-être. Il ne se donnait même pas la peine d'appuyer sur le bouton. La mise en marche était automatique."
Les mots sont puissants et si édifiants qu'il ne me semble pas nécessaire d'en dire plus.
Si ces paroles vous touchent, vous interpellent alors je ne peux que vous conseillez de le lire.
Une lecture qui ne laisse pas indifférent !
Petit bémol :
J'ai été un peu frustrée en lisant les dernières pages. (fin ouverte)
https://leslecturesdeclaudia.blogspot.com/2019/03/nulle-autre-voix-le-jugement-de-lea.html
« Elle » a tué son mari à qui ses parents l’ont mariée de force.
Elle vivait un enfer quotidien avec cet homme : humiliations physiques (les coups donnés sans que cela ne marqua la peau), humiliations psychiques (quand il était là, son seul domaine était la cuisine), humiliations sexuelles (les relations sexuelles servaient exclusivement à la procréation).
« Dès la première nuit, dès la première bouffée de haine, j’ai souhaité sa mort. J’en ai rêvé. Oui, des centaines de fois, j’ai rêvé pour lui un attentat terroriste, un accident quelconque, des mauvaises rencontres, une maladie incurable assortie d’une longue et douloureuse agonie. J’ai souhaité de toutes mes forces qu’il rôtisse en enfer, lui, l’homme pieux toujours prêt à exhiber sa foi et qui avait pris à la lettre le verset dans lequel il est dit qu’un homme se doit de corriger son épouse s’il considère qu’elle se montre récalcitrante. » (page 55).
Mais « elle » n’en peut plus et passe à l’acte. Elle est arrêtée et écope de quinze ans de prison. Elle accomplira sa peine dans une cellule trop petite pour sept à huit femmes, condamnées elles aussi pour des peines plus ou moins lourdes.
Cet enfermement, « elle » va le vivre, paradoxalement, comme une liberté qu’elle n’a jamais connue. L’homme, non plus, n’est plus là, châtié comme il se doit.
L’écriture va la sauver une première fois, en prison. Elle devient « écrivain public » pour ses co-détenues. Elle gagne leur confiance. Il s’agit aussi de sa survie physique, de ne plus être astreinte aux corvées les plus dures, les plus dégradantes…..
Depuis quelques paragraphes, je n’utilise pas de prénom pour nommer « elle ». Ce n’est pas un hasard ou une lubie de Maïssa Bey, l’auteur. Celle-ci nous explique que « par l’acte que j’ai commis, j’ai effacé mon identité et le prénom que mes parents ont choisi pour moi le jour de ma naissance. » (page 18). Une humiliation de plus qu’ « elle » subit, après toutes les autres.
Quinze ans sont passés. Elle retrouve son appartement grâce à son père et à son petit frère.
Elle vivote. Ses seules sorties sont pour faire des courses à 500 mètres du logement.
Elle essaie de se reconstruire mais n’y arrive pas vraiment.
C’est alors que surgit dans sa vie Farida. Elle se présente comme chercheur, écrivain… Elle la contacte pour entendre son histoire et en faire, peut-être, un roman. « Elle » accepte.
Avec ces rendez-vous, ces échanges avec Farida, « elle » se libère, enfin, par la parole mais surtout, encore, par l’écriture.
A partir de là, « elle » va tenir un journal et chaque jour sera consacré à écrire une lettre à l’écrivain, où « elle » se livre sans retenue.
« Nos conversations me laissaient un goût d’inachevé. Je voulais aller plus loin. J’ai compris, en revenant à mes carnets chaque soir, que l’écriture libère bien plus que la parole. » (page 233).
Maïssa Bey dans « Nulle autre voix » se fait la porte-parole de toutes ces femmes algériennes qui subissent, quotidiennement, les violences ordinaires d’une société ne pardonnant rien aux femmes.
« Pour moi, la première violence est de s’arroger le droit de disposer de l’autre. Du corps de l’autre. Au nom d’une supériorité légitimée par la naissance, le sexe, l’argent, la position sociale ou encore par des lois humaines ou divines. » (page 200).
Très tôt, les enfants connaissent le rang qu’ils auront à tenir adultes dans la société. Les filles deviendront des épouses soumises, enfermées dans le carcan de leur foyer. Elles devront obéir à leur mari en toutes circonstances. Elles n’auront aucune autre issue.
Elles pourront faire des études, travailler mais elles resteront toujours sous la tutelle des hommes. Tout est apparence. Il est très important que tout reste dans le giron familial et marital.
« Le visible et le caché. Deux socles sur lesquels repose la société. Ce qui ne se voit pas n’existe pas et ne peut donc pas être répréhensible. » (page 148).
Un autre sujet que traite Maïssa Bey dans son livre est la prison. Elle décrit longuement comment cela fonctionne (les passe-droits…). La violence y est aussi présente.
Après être sorti de prison physiquement, celle-ci reste à jamais dans la tête, dans les gestes, les attitudes. On ne sort pas totalement de cet autre enfermement. Celui-ci, aussi, vous colle à la peau pour la vie.
« Les murs de la prison me séparent toujours du monde. Ils sont dans ma tête. Rien ne pourra venir à bout de cette forteresse mentale. Pas seulement mentale d’ailleurs…. Je m’aperçois maintenant que, quoi que j’aie pu vous raconter sur ces lieux, je ne crois pas avoir réussi à en restituer l’atmosphère sordide jusqu’à l’odeur de remugle et de graillon qui continue d’imprégner les narines, longtemps après que l’on en est sorti. » (pages 101-102).
Enfin, l’écriture de Maïssa Bey est très importante pour donner chair à ses personnages féminins. Son écriture peut être tout en douceur, comme elle peut être crue. Elle peut être tout en nuance et quelques mots après violente, avec des phrases assénées comme des claques.
En quatrième de couverture, la journaliste Marina da Silva écrit dans « Le Monde diplomatique » : « Le lecteur qui ne connaît pas encore Maïssa Bey à beaucoup de chance… Il va découvrir une écriture solaire dans tous ses éclats, entre ombre et lumière, caresse et brûlure. »
La journaliste a bien résumé ce que j’ai ressenti dans ce livre et pour ce livre. Maïssa Bey est un écrivain qui ne laisse pas indifférent.
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