"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans les rues d'Alger, les hommes s'étreignent. Derrière leurs portes closes, les femmes s'ennuient. Séparée de la ville par un rectangle de verre, une jeune fille observe. Un mur sale, un trolley bondé, une enfant imprudente lui donnent les mots d'une nouvelle histoire. Elle invente. Elle s'invente. Elle est pubère, son père ne lui parle pas depuis deux ans. La mère prépare l'intrigue, les soeurs se taisent. L'ennui ronge la capitale. Personne n'y échappe. Pas même le soleil!Les hommes attendent. Ils l'attendent. L'amour et l'espoir n'existent pas. Les pensées se cognent contre un espace amputé de son temps.Cachée derrière sa fenêtre, avide de savoir, la voyeuse force sur la réalité. Un voile s'éloigne, une petite fille meurt sous les pneus d'un camion. Les trous de serrure s'élargissent, la voyeuse dérobe la vie des autres. Le rêve s'impose. La mort guette. Toutes deux se convoitent, s'invitent, se rejettent. Le sang se faufile entre les mots et les maux.
Direction les années 1970 et Alger. Dans sa chambre Fikria est encore fermée. Recluse, dans la pénombre, elle regarde la rue en ouvrant légèrement les rideaux. Sous sa fenêtre, le monde qui l'entoure défile. de cette ouverture de la maison familiale elle observe, silencieuse, soumise à un père violent en raison de sa puberté naissante.
Dans ce livre bouleversant Fikria quitte l'enfance pour le monde des adultes. de fille à femme, d'enfant à épouse, elle observe ce corps qui se transforme et qu'elle doit cacher.
Alger.
Derrière les murs de sa maison, de sa prison, une adolescente. Cachée, claustrée, bridée. Parce que la religion. Et pas que.
C'est un livre d'une violence terrible. Dans les mots. Dans les émotions. Sur la haine de soi, de la femme, ce corps qui porte la vie et rien que ça. Les métaphores autour du vagin, les termes employés sont percutants, tranchants, font mal. Parce que je suis une femme peut-être... J'espère que non, j'espère que les hommes qui ont lu ce livre l'ont ressenti aussi.
Dans ce recit, le temps est aboli. Les liens aussi, la père est bourreau, la mère criminelle, la soeur piégée, en prison elle aussi. Puisque la prison c'est leur corps.
Au-delà de l'aspect religieux, féministe, la question se pose de la transmission. Ce qu'on laisse à nos enfants de traditions, de convictions. C'est quelque chose de très fort dans ce livre.
Très fort.
Rien d'autre à ajouter.
Le sang est le cœur de l' histoire.
Ce sang qui bouillonne quand la colère nous dépasse.
Ce sang annonciateur de rancœur et de déception lorsque la venue au monde d' un petit être n' est pas un garçon.
Ce sang qui transforme la petite fille en jeune femme nubile.
Le sang, encore, qui prépare le mariage lorsque les moutons sont égorgés.
Le sang, enfin, preuve que la jeune fille est encore vierge et part au devant de sa destinée.
Voici deux extraits :
" Aujourd' hui : leçon de choses ou comment ne pas s' ennuyer dans un pays musulman quand on est une fille musulmane.....Enfant d' un géniteur muet mais point sourd, d' une génitrice déguisée en eunuque, sœur de deux monstres végétaux en instance de mort, je n' ai aucune voie de secours, ma mère prépare sa revanche dans mon dos, c' est à travers moi, seule féconde de la maison, qu' elle se venge de sa naissance, de nos existences et de son sexe, dans le cœur des fourneaux, elle a dissimulé la mixture de la prochaine embuscade, stupide maman, les émanations de haine remontent jusque dans ma chambre. "
" Pourquoi recommencer ? de mère en fille la tristesse est un " joyau " dont on ne peut plus se passer, un héritage, une maladie congénitale, transmissible et incurable ! Meurtrières mamans ! "
A Alger, en 1970, Fikria est une jeune musulmane solitaire car cloîtrée, sur décision du père dictateur qui ne lui adresse plus la parole depuis qu’elle est devenue « impure » à la puberté.
Ce court roman très dense est un cri de révolte.
De longues phrases pour cracher la colère, la haine, pour le père, pour la religion.
Vaine rébellion ! Entre rêve et folie, les journées s’écoulent alimentées par le seul spectacle de la rue.
Immense et effroyable solitude.
Une superbe écriture pleine de métaphores. On rit et souffre avec Fikria.
Un superbe plaidoyer contre l’absurdité de la religion poussée à ses excès.
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