"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Me Susane, quarante-deux ans, avocate récemment installée à Bordeaux, reçoit la visite de Gilles Principaux. Elle croit reconnaître en cet homme celui qu'elle a rencontré quand elle avait dix ans, et lui quatorze - mais elle a tout oublié de ce qui s'est réellement passé ce jour-là dans la chambre du jeune garçon. Seule demeure l'évidence éblouissante d'une passion.Or Gilles Principaux vient voir Me Susane pour qu'elle prenne la défense de sa femme Marlyne, qui a commis un crime atroce... Qui est, en vérité, Gilles Principaux ?
Maître Susane, avocate d’âge mûr installée à Bordeaux, reçoit à son cabinet un nouveau client, Gilles Principaux, venu lui demander d’assurer la défense de son épouse Marlyne, coupable d’un crime abominable. Curieusement, sans qu’elle puisse fonder son impression sur quoi que ce soit de tangible, l’avocate croit reconnaître en cet homme un adolescent rencontré quand elle avait dix ans. De leur tête-à-tête dans la chambre du jeune garçon, elle ne se souvient de rien, mais a gardé l’empreinte de ce qu’elle interprête aujourd’hui comme un moment d’éblouissante passion.
D’emblée piqué par une impression d’étrangeté et de mystère, tout entier tendu dans l’attente d’explications, le lecteur engagé tambour battant dans cette lecture risque fort de la découvrir de plus en plus opaque et de l’achever sur le constat désemparé de n’y avoir rien compris. C’est que la construction du livre reflète l’obscur cheminement de Maître Susane, depuis le refoulement au fond de son inconscient d’un traumatisme que l’on ne pourra que deviner, jusqu’au déchirement progressif du voile protecteur de l’oubli lorsque, trente ans plus tard, elle reconnaît confusément la toxicité d’un autre homme au point de le confondre avec son ancienne connaissance.
Comme rien de tout cela ne se déroule de manière linéaire mais nous est suggéré par touches et allusions désordonnées, comme autant de pièces d’un puzzle éparpillé, le lecteur se retrouve lui aussi le jouet aveugle et impuissant de l’inconscient de Maître Suzane, dont il devient de plus en plus évident qu’il la protège plus ou moins bien de la dépression et de troubles relationnels, consécutifs au choc jamais verbalisé vécu dans son enfance.
Le récit se sera jamais très explicite sur la psychologie et les motivations de chacun des époux Principaux. Leur histoire s’avèrera finalement le déclencheur d’une prise de conscience tardive de son traumatisme par Maître Susane, et l’occasion pour elle, telle une formidable revanche, de comprendre et de révéler la responsabilité du mari, perversement possessif et manipulateur, dans le passage à l’acte de l’épouse, coupable flagrante mais aussi victime ignorée.
A la virtuosité de la construction et à la profondeur psychologique des personnages vient s’ajouter une écriture travaillée dans ses moindres détails, y compris les tics de langage des personnages. Dans l’accumulation de ses « mais », Marlyne exprime sa protestation contre l’enfermement invisible de sa vie conjugale et fournit les raisons de son coup de folie. Dans celle de ses « car », son mari se justifie de la normalité de ses propres comportements. Le texte devient ainsi un bijou de symbolisme, tant sur la forme que sur le fond.
D’un premier abord désarçonnant pour ne pas dire abscons, cet étonnant roman est une performance littéraire et une expérience de lecture troublante et exigeante. Obsédante et inquiétante, son histoire s’avère la face émergée de profondeurs vertigineuses, nous faisant prendre conscience du gouffre insondable de notre mémoire et de notre inconscient, sur lequel nous construisons nos personnalités et nos existences. Chaque lecteur y trouvera sa propre interprétation et devra répondre seul aux questions restées ouvertes.
Un roman qui interroge sur les contours flous, incertains et improbables des protagonistes et laisse le lecteur compléter les manques volontairement et astucieusement disséminés par l’auteure. Qui manipule qui ? Sharon, Gilles Principaux, Marlyne, Rudy ? Me Susane est-elle vraiment empêtrée dans une situation diabolique ou se l’imagine t’elle ? Les ressentis exprimés par le couple sont remarquablement décrits, avec ce qui faut de répétitions pour en affirmer la profondeur et la sincérité. Une lecture déroutante et passionnante.
La vengeance m'appartient de Marie Ndiaye
Il était en bonne place, en avant, sur l'étagère de ma bibliothèque de mon village. La quatrième page de couverture m'a donné l'envie de rencontrer Me Suzanne, quarante deux ans, avocate récemment installée à Bordeaux qui voit arriver à son cabinet, alors qu'elle n'a jamais siégé aux Assises, un homme Gille Principaux. Celui-ci lui demande de défendre son épouse Maryline, laquelle vient de noyer ses trois enfants, Jason John et Julia à leur domicile. Cela aurait pût être l'idée d'un thriller, d'autant plus que Me Suzanne, croit reconnaître dans Gilles Principaux, le jeune garçon qui l'avait invitée dans sa chambre, alors qu'elle avait dix ans et lui quatorze. Que c'était-il passé dans cette chambre entre ces deux enfants ? La question est posée par cette auteure.
Je vous avoue qu'à la lecture des premières phrases, d'une longueur, d'une longueur, ce livre a failli me tomber des mains. 16 lignes, pour décrire le sentiment de gêne de Me Suzanne, par ce que la personne qu'elle emploie Sharon , « récure une baignoire dont elle ne se sert jamais ! » Cela fait beaucoup. Mais je ne serai pas au bout de mes surprises lorsque Me Suzanne, entendra comme avocate sa cliente Maryline, ou Gilles Principaux. En effet l'auteure nous met en situation comme si nous avions écouté l'enregistrement des paroles de ces deux personnages. Des phrases courtes ou les mais, sont légion : « Mais les surveillantes me traitent bien également, oui. Mais je me sens bien. Mais je suis bien tranquille, oui » et ainsi de suite de la page 113 à 123. Puis ce sera l'audition de Gilles Principaux, dans le même style évoquant son amour pour sa femme : « Nous ne nous sommes jamais aimés, je veux dire sentimentalement, absolument, romantiquement. Oh je l'aime, si ! J'aime encore la mère de mes enfants, bien que... J'aime ma femme, elle est ma femme et je me suis engagée auprès d'elle, j'ai des devoirs envers elle, elle est ma femme pour le meilleur et pour le pire. Nous vivons le pire, c'est ainsi. Je l'aime, je ne l'abandonnerai pas, je l'aime peut-être plus et mieux qu'avant. » J'allais oublier le style littéraire, on n'oublie les mais, nous avons les car.
Je me suis dit ce roman La vengeance m'appartient va peut être déboucher sur un vrai acte de défense d'une avocate pour sa cliente. Une étude de son passé, des relations avec son mari, entrer ou non dans la préméditation et que sais je ? Hé bien là aussi, je ne sais pas ou l'auteure veut nous entraîner mais, je n'ai répondrai pas à cette question, je vous laisse voir par vous même.
Mais l'histoire ne s'arrête pas à ce fait sordide. Me Suzanne emploie au noir une femme Sharon, qui arrivée en France a fait venir son mari et ses enfants. Me Suzanne cherche a régulariser sa situation au moyen d'un certificat de mariage resté à l’île Maurice. Puis elle se penche sur le changement nom d'un de ses clients suspectant que celui-ci soit porté par un négrier. Vient également se greffer un amour passager de Me Suzanne, Rudy et sa fille Lila et les relations difficiles des parents M. Mme Suzanne envers leur fille unique Me Suzanne. P188, le père de Me Suzanne, dont elle n'avait pas souvenir d'avoir eu au téléphone ni s'être entretenue avec sa fille seule hors la présence de Mme Suzanne envoie un sms de 30 lignes commençant par « Adieu ma fille, c'est moi ton père, qui t'écris, ta mère n'est pas au courant et n'a pas besoin de l'être » et se terminant par « Sois assez forte pour ne pas tenter de nous joindre avant que le tact, la sagesse et la bonté te soient revenus – surtout la sagesse, d’où procèdent toutes les qualités » Changement de chapitre p 190 ? nous retrouvons Me Suzanne Chez Christine et Ralph ? Il faudra 10 pages pour apprendre que Me Suzanne est arrivée à Port-Louis et que Christine et Ralph sont la belle sœur et le frère de Sharon qui seraient en possession du certificat de mariage. Dans cette épisode comme dans différents sous paragraphe, nous retrouvons les interrogations de Me Suzanne sur ce Gilles Principaux . Qui était Principaux pour elle ? Il semblerait que l'auteure, veuille nous faire comprendre qu'il lui est bien arrivé quelques choses dans la chambre de ce garçon Gilles Principaux, car elle s'en inquiète lorsque Lila, accompagne Sharon qui fait également du ménage, dans cette famille. Mais l'on ira pas plus loin. Alors me direz-vous et le procès aux assises ? Comment Me Suzanne va l’appréhender ? « Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les jurés... il ne vous reste plus qu'une page pour connaître les conclusions de la défense. Je vous l'avoue une fois encontre m'a laissé comment dire interloqué . Ce livre aurait-pu être un livre intéressant. Je suis allé jusqu'au bout de ce pensum, qu'est la vengeance m'appartient de Marie Ndiaye. Bien à vous.
Me Susane, avocate, 42 ans vivant à Bordeaux est loin de l’image des ténors du barreau qui peuple nos écrans.
Elle a quitté le cabinet pour lequel elle travaillait pour s’installer en indépendante, c’est un peu galère.
En ce froid hiver qui habille Bordeaux, elle voit Gilles Principaux venir l’engager pour défendre sa femme qui défraye la chronique bordelaise après l’infanticide de leurs trois enfants.
Cet homme lui rappelle de façon fugace l’adolescent qu’elle a rencontré lors d’un après-midi où elle a accompagné sa mère qui faisait un remplacement pour du repassage dans une maison bourgeoise de Caudéran.
Le lecteur ne saura pas si c’est un bon souvenir ou un traumatisme.
Mais c’est le souvenir qui va fracturer sa relation avec ses parents qui coulent leur retraite à La Réole.
Cette quadragénaire navigue entre l’enfant qu’elle était, encouragée par ses parents à faire des études et s’élever dans l’échelle sociale, mais elle a peu d’estime d’elle-même car elle sait qu’elle ne correspond pas à la fille qu’ils ont fantasmé. A chaque visite il y a des heurts.
En même temps, elle est emplie d’humanisme et emploie sans en avoir un réel besoin Sharon qui est une sans papiers et qui rechigne à fournir le nécessaire pour régulariser sa situation.
Avec l’infanticide qui fait la Une des journaux, Me Susane va entrer dans l’intimité d’un couple. Le mari est persuadé que leur couple était ce qu’ils souhaitaient tous les deux. Mais la femme raconte la monotonie de son existence, elle grossit depuis son mariage comme si c’était inéluctable, de façon à être plus imposante physiquement mais en fait à s’effacer d’elle-même sans retour.
Sa maternité lui a fait enfiler un rôle social qu’elle ne souhaitait pas, elle n’a pas repris son travail d’enseignante dans un collège de Pauillac, jugé peu reluisant pat son mari. Sa mère et ses sœurs se sont éloignées car en désaccord avec le fait qu’elle devienne totalement dépendante de son époux. Elles la considèrent sous emprise et n’ont plus rien à partager avec elle.
« J’étais furieuse contre elle, j’ai préféré garder mes distances, tout ça pour ça je me disais, quel gâchis. Et je savais bien que Principaux était responsable de ce changement du tout au tout, je savais que la Marlyne que j’avais éduquée à être libre et qui avait profité avec bonheur de cette liberté jusqu’à ses vingt-six ans, l’âge auquel Principaux l’a prise dans ses filets… »
Marlyne Pincipaux s’est enfoncée dans une sorte de folie au fur et à mesure que sa haine pour son mari se développait.
En prison elle atteint à une sorte de bonheur, elle a un endroit rien qu’à elle, du temps pour elle, c’est un paradoxe mais enfermée elle s’épanouit.
Ce sont trois existences qui coexistent dans ce roman, et qui permettent à chacun de se révéler.
C’est une histoire glaciale dont l’atmosphère est renforcée par la situation hivernale et la beauté des façades des immeubles du centre-ville.
Le lecteur se déplace dans le roman, comme dans le brouillard en s’emmitouflant, car il a froid et ne sait pas ce qui est devant lui.
Cette opacité est le manteau du ou des mystères de ces vies. Ont-elles un lien entre elles ? Et si oui lequel ?
L’écriture de l’auteur épouse cette sensation en navigant d’une vie à l’autre, en révélant l’intime de chacun et en mettant en évidence que chacun porte sa vérité et que chacun a une image sociale qui n’épouse peut-être pas la personnalité réelle.
J’ai aimé que cette écriture me laisse dans l’incertitude.
En fait c’est un livre sur les femmes, leur place, leurs aspirations et leurs réalisations.
C’est un jeu de rôle pour chacune qui essaie de correspondre à ce que l’on attend d’elle.
Chacune de ces femmes vivent en obsession et en décalage permanent. Un véritable numéro d’équilibriste retransmis par cette écriture particulière qui nous envoûte et nous déstabilise en même temps.
Le travail de Marie Ndiaye est toujours intéressant, car elle a cette plume particulière, qui griffe notre monde, ses apparences, et révèle les mystères d’une banalité apparente.
Et le travail qu’elle fait sur la langue, qu’elle plie à sa fiction, comme le vannier travaille son osier pour lui donner la forme qu’il souhaite.
C’est un livre qui interroge, une histoire d’infanticide mais assurément celui de l’enfant qu’il faudrait tuer en soi pour vivre dans ce monde et aussi l’histoire du corps des femmes qui doivent correspondre à des stéréotypes qui ont la vie dure.
©Chantal Lafon
Je suis K.O, au sol, sans vie. Je viens de me prendre deux directs et un uppercut. J'ai bien tenté de cadrer mon adversaire, résister à ses assauts, organiser mes attaques et ma défense. Rien n'y a fait. Je déclare forfait.
Lui, c'est le dernier roman de Marie Ndiaye « La vengeance m'appartient » : je me suis laissé surprendre, je n'avais jamais lu cette autrice. Est-ce que tous ses romans sont de la même veine ? Est-ce que lire ses précédents écrits m'auraient un peu mise sur la voie ? Je n'en sais rien. Par contre, ce que je sais, c'est que je me suis complètement perdue. Enfin, elle m'a perdue. Je ne veux pas endosser toutes les responsabilités. Des textes entièrement symboliques/métaphoriques/allégoriques hyper allusifs, imagés, tarabiscotés et à lire au vingt-sixième degré, c'est pas pour dire mais je connais. Ce n'est pas forcément ce que je préfère mais bon, s'il faut, je prends, même si j'aime bien qu'on me laisse le choix, une certaine « marge de manoeuvre », une forme de liberté quoi. J'apprécie cette possibilité de me balader comme bon me semble entre différents degrés de lecture. Là, on est immédiatement prié de se diriger vers le « voyons voyons, qu'est-ce qu'elle veut dire par là... » Et j'avoue qu'à plusieurs reprises, ça a coincé, je me suis retrouvée un peu dans le noir, à avancer à tâtons et forcément, je me suis cassé la figure... Tout est question de dosage… Les personnages désincarnés sont froids, hiératiques à force de n'être que des idées. Franchement, ça m'a lassée, j'avais l'impression d'être là mais de ne pas avoir été invitée. Et puis aussi, dans le fond, qu'on se foutait un peu de ma gueule. Pourtant, je n'ai pas lâché l'affaire : vous verriez l'état du bouquin. J'ai coché, souligné, surligné, fait des croix, des traits, des flèches, corné des pages, lu, relu. J'ai tenu bon mais vers la fin, alors là, trop c'est trop…
Bon allez, deux mots sur « l'histoire » même si ce terme n'a aucun sens ici. Une avocate, Maître Susane, reçoit à son cabinet un homme dont l'épouse vient d'assassiner leurs trois enfants. Il souhaite que l'avocate prenne la défense de sa femme. Or, Maître Susane croit reconnaître un certain Monsieur Gilles Principaux qu'elle aurait déjà rencontré trente-deux ans auparavant alors qu'ils étaient tous deux enfants et que la mère de l'avocate faisait des ménages dans cette famille bourgeoise. Ce jour-là, ils se seraient enfermés tous deux dans une pièce et... on ne sait pas ce qu'ils ont fait. En tout cas, l'avocate, obsédée par la question de savoir si c'est bien cet homme qu'elle a devant elle, va interroger sa mère qui n'a aucun souvenir du nom de la personne chez qui elle travaillait. Voilà l'axe principal du roman même si d'autres éléments viennent se greffer sur ce nœud central.
Que dire de tout ça ?
Encore une fois, non familière de l'oeuvre de Marie NDiaye et un brin paumée, je suis allée lire et écouter ce que l'autrice disait de son travail et ce que les uns et les autres avaient pensé de ce roman. Eh bien, ça ne m'a pas franchement aidée : entre Arnaud Viviant au « Masque et la Plume » qui pense qu'il s'agit d'une dénonciation du passé colonialiste de la ville (alors là, franchement, c'est fort!) ou Laure Adler qui dans son émission « L'heure bleue » semble être passée légèrement à côté... (C'est d'ailleurs amusant de voir comment Marie NDiaye de sa douce voix au lent débit corrige avec aménité ses analyses quelque peu erronées.) Bref, les uns commentent la forme (à défaut du fond), d'autres se pâment d'admiration devant le chef-d'oeuvre , mais les vraies analyses, personne ne s'y colle. Et pour cause…
Je veux bien en tenter une mais franchement, je ne garantis rien. Il me semble ici que l'autrice met en scène trois femmes puissantes qui veulent se libérer de tous les poids qui pèsent sur elles : une mère infanticide (ancienne prof de français en collège - et heureuse de l'être) qui, pour faire plaisir à son gentil mari, a dû démissionner lorsqu'elle s'est mariée (il disait « ton collège de crotte » - entre nous, j'aurais tué le mec, pas les gosses...) Ce dernier lui a gentiment conseillé de rester plutôt à la maison pour confectionner de bons petits plats bien équilibrés et très sains pour leurs enfants si beaux et en pleine santé. La mère a tenu bon. Un certain temps. Et un jour, elle a plongé la tête des trois loupiots sous l'eau du bain, sachant que cet acte la conduirait immanquablement en prison, là où elle souhaitait aller. Enfin, une chambre à soi. Quitter un enfer pour un autre, plus léger, plus supportable. Et d'une. Libre, en prison... c'est dire l'enfer de la maison. « Mais un petit espace comme ça, tout à moi, mais l'enclos bien précis de mon lit, mais le nid que je m'y suis fait, mais jamais je ne l'avais eu de cette qualité. Mais c'est un véritable sweet home... Mais je suis heureuse ici, je ne veux pas être défendue... »
La seconde qui se libère, c'est l'avocate elle-même. Souvenez-vous de cet épisode dans la chambre : il s'est passé ce qui s'est passé mais dans tous les cas, Maître Susane en a gardé un souvenir éblouissant. Un des plus beaux de sa vie peut-être… Ce garçon, dira-t-elle, est « l'enkystement d'une pure joie. » Or, son père pense qu'elle a été violée et veut donc lui imposer SA vision des choses et par là même « souiller son souvenir ». Elle n'en veut pas et finit plus ou moins par rompre avec les siens, malgré tout l'amour qu'elle leur porte et le besoin qu'elle a d'eux « Pourquoi, mon Dieu, ne puis-je appeler ma mère ? ». C'est le prix à payer pour être libre, libre de ses pensées et de ses fantasmes. « Je dois lutter contre mon propre père pour ne pas transformer mon souvenir, pour ne pas l'ajuster à ce qu'il se représente. »
Enfin, la troisième, c'est la femme de ménage qu'emploie Maître Susane : une Mauricienne, sans papiers, elle travaille au noir. Et il se trouve que l'avocate, dans sa volonté maladive de faire le bien et d'être aimée, veut absolument récupérer une copie de son acte de mariage pour tenter de régulariser la situation de cette femme. L'autre refuse. Pourquoi ? J'ai pas bien compris mais ELLE NE VEUT PAS et donc ne l'apporte pas. En relisant la fin, on peut peut-être comprendre ce refus mais j'ai vraiment la flemme de m'y replonger…
Et puis tiens, j'en vois encore une femme toute-puissante que je découvre à l'instant (et de quatre!) : p 93, voici ce que dit l'avocate au sujet de la femme d'un de ses amis : « elle éprouvait une vague amitié pour cette femme qui s'était dégagée de l'amour fou. » Se dégager de l'amour fou, partir non parce qu'on n'aime plus mais parce qu'on aime trop et qu'on sent que ça va nous tuer, nous empêcher de vivre, nous ôter toute liberté…
Bref, quatre femmes vacillantes et déterminées, titubantes et résolues, chancelantes et obstinées… Quatre femmes qui peuvent chacune dire : « La vengeance m'appartient. » Voilà ce que j'ai compris.
Encore deux mots : outre cette lecture imposée au trente-sixième degré (la concentration de symboles par page est tellement poussée, notamment vers la fin, qu'on frôle l'opacité complète), s'ajoutent des techniques narratives que je trouve a priori intéressantes mais qui ici viennent encore parfois obscurcir le propos : on retrouve en effet le flux de conscience woolfien concrétisé par l'emploi de l'italique (je fais telle chose mais ma pensée est envahie par tout autre chose.) On a aussi les paroles non rapportées à savoir celles que le personnage ne dit pas : « Car nous souffrons, Principaux, car nous souffrons, ne lui dit pas Me Susane. »
Encore une fois, pourquoi pas mais tout est une question de dosage.
Enfin, et c'est peut-être finalement le plus triste, je n'ai pas aimé l'écriture qui selon moi manque de souplesse, de fluidité. Je trouve que c'est lourd, répétitif et que ça accroche. Non, l'écriture n'est pas belle et rend le propos (volontairement je pense) confus. (Ou alors, j'étais très fatiguée cette semaine, ce qui n'est pas à exclure.)
Bref, trop c'est trop.
Et c'est bien dommage parce que je pense qu'il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce roman.
Je me sens prête à aimer ce qu'écrit Marie NDiaye mais encore faut-il qu'elle m'en laisse la possibilité, qu'elle m'invite à entrer dans son œuvre sans me claquer la porte au nez.
C'est un peu dur de rester dehors, avec le froid qu'il fait en ce moment…
LIRE AU LIT le blog
Roman étrange .Mais le charme (au sens propre) de ce livre est de se laisser envoûter sans trop se poser de questions malgré parfois des phrases longues , affolées et obsédantes, voire hallucinantes.
Une avocate lambda reçoit un client qui lui demande de défendre son épouse coupable d'avoir tué ses trois enfants...oui ça commence bien!
Cette avocate se trouble en voyant cet homme; elle est persuadée d'avoir passé un moment dans une chambre avec lui , elle avait 10 ans, lui 15, mais était ce un enchantement ou un cauchemar?
Elle ne peut se souvenir, elle est étrange, s'entend mal avec ses parents, a été heureuse d'être quittée par un homme qui devient tardivement son ami , il est accompagné de sa petite fille. Elle doute aussi de la sincérité de sa femme de ménage.
Je n'ai pas réussi à bien visualiser les personnages et n'ai éprouvé aucune sympathie pour eux.
Tout est troublant dans leur vie et donc dans ce roman; on est troublé aussi , comment sera défendue cette mère infanticide? C'est la raison du titre.
C'est une belle performance littéraire qui demande une lecture exigeante.
Voilà un roman dont le titre et la quatrième de couverture peuvent être trompeurs.
Me Susane, 42 ans, avocate, qui vient d'ouvrir son cabinet, reçoit Gilles Principaux, qui lui demande de défendre sa femme, Marlyne, qui a assassiné leurs trois enfants. Me Susane croit reconnaître l'adolescent avec qui elle a passé un après-midi, dans sa chambre, 32 ans auparavant, dont elle se souvient comme un pur émerveillement alors que son père y voit peut-être une salissure. Elle emploie Sharon, une mauricienne sans papier, dont elle essaye de régulariser la situation.
Seul, ce résumé est factuel et sert uniquement de point d'appui au roman entièrement fondé sur les pensées, les sentiments, les questionnements de Me Susane.
Me Susane est loin de l'image que l'on se fait d'une avocate : elle est gauche, intimidée, mal à l'aise, à la limite asociale; elle ne semble ressentir d'amour ni pour ses parents qu'elle n'appelle d'ailleurs que M. et Mme Susanne ou pour Rudy, un collègue avocat avec lequel elle a vécu, ravie que celui-ci la quitte après quelques années de liaison. Seule, la petite Lila, la fille de Rudy, semble éveiller ce sentiment. Elle a l'impression de faire face à de l'hostilité de la part de ses parents, de Sharon, à la limite de la paranoïa.
Ce roman fourmille de questions auxquelles nous n'aurons pas de réponse, ce qui peut déranger les esprits cartésiens comme le mien : Gilles Principaux est-il l'adolescent rencontré 32 ans auparavant? Pourquoi Marlyne a-t-elle tué ses enfants? Pourquoi Sharon lui cache-t-elle qu'elle travaille pour d'autres femmes? Et bien d'autres pourquoi.
En fait, les réponses sont peu importantes; ce qui l'est, c'est le rapport de Me Susane à ces questions, le cheminement de ses pensées. A partir du moment, où on accepte de ne pas en avoir, ce qui arrive plus ou moins rapidement dans le roman, on peut se laisser porter.
C'est un roman singulier, à l'atmosphère étrange presque onirique, qui baigne dans une sorte de brume; la langue est magnifique, riche, ample; la construction de nombreuses phrases est désarçonnante car l'ordre auquel s'attend l'esprit, sujet, verbe, est complètement chamboulé; une fois la surprise passée, j'ai été séduite par la musicalité et le rythme des phrases. J'ai cependant complètement buté sur le monologue de Marlyne et celui de Gilles, chacun racontant ses rapports à sa famille et au conjoint. Dans celui de Marlyne, les groupes de mots sont entrecoupés de "mais" et dans celui de Gilles, de "car" qui hachent la lecture et dont je n'ai pas compris l'objectif.
Par certains côtés, "La vengeance m'appartient" m'a rappelé "Ce que je sais de Vera Candida" de Véronique Ovaldé.
Je ne me suis sentie proche d'aucun personnage, je n'ai pas ressenti d' émotion pour eux mais j'ai apprécié la beauté de la langue, la musicalité du style de Marie N'Diaye.
L'incipit est incroyablement fort et inscrit de façon indélébile le noeud central du roman ainsi que ses profondeurs secrètes. Me Susane croit reconnaître l'homme qui entre dans son bureau sans en être sûre, sans être sûre qu'il la reconnait, s'il est venu intentionnellement ou si c'est le hasard qui l'amène ici pour l'engager comme avocate de sa femme. le choc est violent au point qu'elle a l'impression qu'on la frappe en plein visage, comme si on voulait la tuer.
Tout le roman repose sur un trouble lancinant, qui oppresse le lecteur tant Marie Ndiaye tisse un récit opaque, constamment oblique, empli de brouillard et de mystères. Qu'est-il arrivé trente ans auparavant à Me Susane, lorsqu'elle avait dix ans et s'est retrouvée seule dans la chambre d'un adolescent qui pourrait être ( ou pas ) son client ? A-t-elle été ravie au point de vivre le meilleur moment de sa vie ? Ou a-t-elle été ravie au sens de saccagée, abusée ?
On ne sait pas grand chose de Me Susane, presque une abstraction. Pas de prénom. Plutôt laide et grande, plus ou moins mère. Ses contours sont flous au point que je n'ai jamais réussi à me la visualiser. Et pourtant, on ne quitte jamais son for intérieur , on ne voit les événements qu'à travers le prisme de son regard et de sa perception. le personnage est à la fois froid et chaud, fascinante personnalité dans la complexité qu'en capte Marie Ndiaye.
Elle est enfermée dans son passé, dans ses pensées, dans ses ruminations, dans les combats intimes qui l'assaillent et semblent au bord du pourrissement. Entre folie, mythomanie, lucidité. Que ce soit face à cet homme qu'elle croit reconnaître jusqu'au vertige. Dans ses relations avec ses parents qu'elle aime douloureusement, payant le prix fort du transfuge de classe. Dans son métier face à Marlyne, l'épouse infanticide qu'elle défend et dont elle partage un même écartèlement entre la façade sociale et les déchirements intérieurs. Ou encore face à sa femme de ménage dont elle a pris en charge le dossier de régularisation et qui fuit son amitié.
Pour dire cet enfermement terrible avec toutes ses dissonances, Marie Ndiaye a trouvé la juste écriture, spiralaire qui revient comme la marée pour creuser une empreinte de plus en plus inquiétante. Elle ne s'interdit rien, surtout pas un incroyable monologue hallucinée, celui de Marlyne, irrespirable, juste ponctué de « mais » comme un mantra ou une circonstance atténuante à son acte odieux. Et il y a ses litanies en italique comme des bulles de pensée échappées de Me Susane qui perturbe encore plus notre ressenti.
C'est incontestablement une lecture exigeante et déroutante qui pourra être détesté ou portée au nue. Ce conte glacé sur les limbes de la mémoire et la quête d'identité m'a hypnotisée de A à Z, entre autres parce qu'il laisse une liberté totale au lecteur, celle de porter le récit dans une direction ou une autre. Il m'a remuée aussi avec toutes les questions qu'il soulève sans y répondre : peut-on faire confiance à nos souvenirs ? Jusqu'à quel point peut-on se tromper sur sa propre vie ? Vertigineux.
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