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On dit que l'amour heureux n'a pas d'histoire. Mais si : il suffit d'insérer entre chaque étape amour, mariage, bonheur une attente suffisamment longue, nourrie de péripéties multiples (à cet égard, la Révolution fait bien l'affaire). Il est vrai que les heureux époux risquent de ne plus être jeunes ; et encore faut-il s'entendre sur ce qu'on veut dire par bonheur : jeunesse et vieillesse n'en ont pas la même conception.
En mai 1777, le prince de Ligne présente le chevalier de Boufflers à Madame de Sabran. Ils ne passeront leur première nuit dans le ravissant lit bleu que quatre ans plus tard et ne se marieront qu'en mai 1797. Pourquoi ces vingt ans d'attente ? Madame de Sabran était veuve ; Stanislas-Jean de Boufflers aurait pu l'épouser, s'il avait renoncé à son statut de chevalier de Malte. Mais c'était renoncer aussi au plus clair de ses revenus, à ses bénéfices ecclésiastiques. Homme d'honneur, il ne voulait pas demander à sa future femme de subvenir aux frais du ménage : les biens de Madame de Sabran devaient appartenir à ses deux jeunes enfants. En 1797 ils ne possèdent plus rien, ni l'un ni l'autre. Ils se marient donc, et en 1803 ils s'installent à la campagne près de Paris.
Dans ce volume qui couvre les années 1786 et 1787, Sue Carrell a eu accès à des lettres inédites de Madame de Sabran, presque toutes de l'année 1786, qui nous offrent une meilleure compréhension des échanges entre les amants lors du premier séjour de Boufflers en Afrique. Le chevalier arrive à l'île Saint-Louis le 14 janvier 1786. Le 19 janvier il expédie un premier paquet de lettres sur un vaisseau qui rentre en France en passant par Saint-Domingue. Ce paquet ne parviendra jamais à destination. En février Madame de Sabran reçoit un petit mot de Ténériffe et puis, silence. Les semaines passent, et les mois : mars, avril, mai, juin... Elle reste fidèle à sa promesse : elle écrit tous les jours, remplissant de son écriture page après page, cahier après cahier. Les lettres du chevalier de Boufflers à Madame de Sabran seront des lettres d'amour. Mais on y découvre aussi l'Afrique du XVIIIe siècle, la terre fertile d'un rouge foncé du Cap Vert, les drogues les plus rares, et surtout, comment il considère par exemple la traite des noirs comme un commerce barbare : " Ce serait peu que l'océan entre nous deux s'il était toujours couvert de vaisseaux qui fussent chargés d'entretenir notre commerce. Celui-là serait un peu plus agréable et un peu moins barbare que celui auquel je préside. Imagine que depuis ma lettre commencée, j'ai déjà signé deux permis d'aller traiter des captifs dans la rivière. Ces mots de captifs, de captiveries, d'esclaves, de chaînes, de fers, etc., me font toujours saigner le cuur. " Spécialiste de la littérature épistolaire française du XVIIIe siècle, longtemps professeur aux États-Unis, Sue Carrell se consacre exclusivement depuis 1999 aux recherches dans les archives de la famille Sabran et à l'écriture.
" Ecrivez-moi, ma chère fille, envoyez-moi des volumes, ne relisez jamais ce que vous aurez écrit, ne songez à aucune des règles de l'art d'écrire, ne craignez ni de vous répéter ni de manquer de suite, soyez tantôt triste, tantôt gaie, tantôt philosophe, tantôt folle, suivant que vos nerfs, vos remèdes, votre raison, votre caractère, votre humeur, vous domineront. Vous n'avez pas besoin de me plaire, il faut m'aimer et me le prouver encore plus que me le dire ; il faut, pour notre bien commun, que vos idées passent continuellement en moi et les miennes en vous, comme de l'eau qui s'épure et qui s'éclaircit quand on la transvase souvent. " Le chevalier de Boufflers à la comtesse de Sabran, octobre 1780 " Non, mon enfant, je n'ai que faire de ton illusion : notre amour n'en a pas besoin. Il est né sans elle et il subsistera sans elle ; car ce n'est sûrement pas l'effet de mes charmes, qui n'existaient plus lorsque tu m'as connue, qui t'a fixé auprès de moi ; ce n'est pas non plus tes manières de Huron, ton air distrait et bourru, tes saillies piquantes et vraies, ton grand appétit et ton profond sommeil quand on veut causer avec toi, qui m'ont fait t'aimer à la folie. C'est un certain je ne sais quoi qui met nos âmes à l'unisson, une certaine sympathie qui me fait penser et sentir comme toi ; car sous cette enveloppe sauvage tu caches l'esprit d'un ange et le cuur d'une femme. " La comtesse de Sabran au chevalier de Boufflers, 1781 " Depuis quelques jours ma réflexion se porte sans cesse sur le changement perpétuel des choses de ce monde. Les hommes, les animaux, les plantes, tout se détruit et se remplace ; les idées se renouvellent au-dedans, les objets au-dehors ; les noms, les lieux, les lois, les moeurs, ne restent les mêmes nulle part : la nature ni la société ne peuvent rien faire de stable. Moquons-nous de tout cela, ma bonne femme, et ne changeons jamais que pour devenir époux d'amants que nous sommes encore, et puis amants d'époux que nous serons. " Le chevalier de Boufflers à la comtesse de Sabran, le 22 janvier 1787 PAGE
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