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Connaissez-vous Victor Victoria, de Blake Edwards ? Dans ce film sorti en 1982, il y a un personnage de garde du corps. On ne sait pas trop pourquoi il est là et on ne le perçoit que par bribes : il est assis à la table d'à côté, fait de la boxe, est homosexuel. Pour connaître son nom il faut attendre le générique. Il se nomme Squatsh Bernstein.
Bien qu'il devienne vite familier au spectateur, Squatsh Bernstein manque de consistance. Pourtant il a tout de la douce force d'un personnage tragique, alors pourquoi ne pas imaginer ce qu'aurait pu être sa vie ?
Disons donc que Squatsh Bernstein est né dans la campagne normande en 1942 et a grandi à Paris, sur les hauteurs de Belleville, entre un père effacé, une mère aussi violente que désespérée, et un frère et une soeur qu'il chérit plus que tout. La vie possible de Squatsh se dessine ainsi au gré de détails anecdotiques : il aime la danse, s'enferme aux toilettes pour réfléchir, porte la moustache mais jamais d'imprimé fleuri. Il possède peu de choses et fait passer les autres avant lui-même, toujours. Enfin, surtout, niché dans un creux, il cache la mélancolie des gens qui se cognent au monde. Il aurait pu devenir chevalier ou prince charmant, il sera garde du corps.
Émilie Houssa s’empare d’un personnage secondaire du film de Blake Edwards, Victor Victoria et décide d’inventer une vie à Squash Bernstein, ce garde du corps que l’on voit à peine dans le film, si ce n’est sur des arrière-plans ou lors de cette scène où il patiente sous la neige sur un balcon.
« Ce personnage garde les corps des autres mais ne sait pas se garder lui-même »
L’auteur change une lettre au prénom et fait naître Squatsh Bernstein dans une ferme française en 1942, là où la famille s’est cachée chez Marie-Josée.
En 1945, les Bernstein s’installent à Belleville. Simon, le père ouvre un commerce de toiles cirées aidée par sa femme Martha. Ils ont trois enfants, Ludovic, Squatsh et Marie.
Depuis la mort en couches de Marie-Josée, Squatsch est mélancolique. Il aime s’isoler, surprotège sa petite soeur. Il fait de la danse puis de la boxe et surprend son corps à réagir anormalement face aux beaux garçons.
Mobilisé en Algérie, Ludovic confie sa fiancée, Geneviève à Squatsh. Il sera le porteur de nouvelles et le témoin de sa descendance. Mais, on ne peut pas être mère célibataire à cette époque. Geneviève se marie et quitte le quartier. Squatsh invente une vie pour protéger son frère.
Protéger les autres pour ne pas penser à soi-même, voilà son objectif. Malheureusement, il n’empêchera pas la mort de jalonner sa vie.
« Il ne s’agit pas de s’en remettre
Non, il s’agit de vivre, c’est bien plus compliqué. »
Oui, la vie est compliquée pour Squatsh Bernstein. Altruiste, émotif et déterminé à la fois, il porte son monde pour oublier ce qu’il ne comprend pas chez lui, ce qui lui fait peur.
Ce qu’il conseille à sa sœur est la façon dont il doit lui même envisager sa vie. Même si il peine à vivre son homosexualité.
« Tu seras toujours ici dans cette tristesse et cet amour, mais tu seras ailleurs aussi. Et tu seras forte de ce décalage, ce sera ton histoire. »
A défaut de comprendre son corps, il sera garde du corps.
Emilie Houssa s’inspire d’un personnage de comédie, en débutant par le monde de l’enfance. Son ton reflète la naïveté de la jeunesse et l’humour de son personnage. Dans un style fluide et narratif, elle nous entraîne dans le quotidien perturbé de cette famille sous l’œil d’un jeune garçon en proie à la compréhension de son corps et de la vie. L’auteur insiste peut-être un peu trop sur la force du destin en fin de roman mais la sensibilité et le sourire, toujours présents m’ont fait oublier cet acharnement.
Un premier roman original agréable à lire.
Un petit bijou de premier roman.
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