"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Anna Dubosc raconte Koumiko Muraoka :
Elle n'a pas le droit de sortir, mais on s'en fiche, on sort. Elle enfile sa doudoune. En dessous, elle porte un tee-shirt et un survêtement. Je regarde la peau de ses chevilles fripée. Elle n'a pas ses bas de contention, elle dit que ça la serre trop. J'ai beau lui expliquer que c'est fait exprès, elle est convaincue que c'est mauvais.
J'insiste, j'ai peur qu'elle meure d'une embolie. « Il faut que tu mettes tes bas, c'est important, maman. » Mes mots s'enfoncent comme dans un cauchemar d'impuissance.
« On verra ça plus tard. Je peux pas tout faire, j'ai trop de choses à penser ! » D'un coup, je la crois. Que je m'inquiète pour rien, que je l'emmerde pour rien. Qu'elle ne va jamais mourir, qu'elle n'a pas le temps de mourir, qu'il n'en est pas question.
Koumiko est l'occasion, pour, Anna Dubosc, non seulement de parler de sa mère atteinte d'une maladie dégénérative, mais aussi de nous faire saisir ce qui compte, le fait d'être en vie ici et maintenant, en relation avec ceux dont nous procédons, même quand cette relation est attaquée par la maladie.
Anna Dubosc invente une façon de parler de la douleur et de la plénitude, qui est sa façon de les connaître. Nous nous y reconnaissons.
« J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien… » Anna Dubosc ne nous rejoue la chanson chantée par Jeanne Moreau, mais raconte la lente décrépitude de sa mère, Koumiko Muraoka, poétesse. Elle note tout sur un carnet, histoire de ne pas oublier puis le retranscrit dans son livre. Est-ce pour mettre un « paravent » entre leurs deux désarrois qu’Anna note tout ce que sa mère dit et ou pour sauver la mémoire de sa mère ?
Encore un livre sur le rapport mère-fille-maladie. Oui mais avec la plume d’Anna Dubosc, son écriture nerveuse, directe qui ne fait pas de ronds de jambe. Et puis, c’est sans compter Koumiko et son sacré caractère, son appartement musée-capharnaüm-poubelle, ses apartés. Pas facile de devenir la gardienne, la mère de sa propre mère. Les rapports se trouvent inversés, Anna doit surveiller Koumiko tout en lui laissant la liberté qui est source de sa vie. Koumiko devient la petite fille qui ne supporte pas la solitude. « Elle qui était tellement autarcique, elle ne supporte plus d’être seule ». Anna note tous les petits bonheurs de sa mère, comme les querelles « -Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je prends pas médicaments, idiote ! –Ben t’étonne pas de crever alors ! »
Koumiko a du caractère, beaucoup de caractère et le sas de la civilité est parti en même temps que sa mémoire. « Je peux quasiment tout supporter, sa connerie, sa méchanceté. Son désespoir, non, ça me terrasse. Je préfère quand elle m’emmerde. Au moins ça fait diversion, ça brouille mon amour ». S’ensuit des dialogues picaresques.
Malgré leurs querelles incessantes, je sens l’amour d’Anna pour sa mère. « Puis j’imagine le monde soudain vide d’elle. Non, impossible. Il faudrait qu’elle meure pour de faux, pas pour toujours »
J’aime l’écriture simple et directe d’Anna Dubosc. J’aime sa façon de traiter son rapport mère-fille sans mièvrerie, sans cacher les aspérités, avec les petites joies, les grosses peines, la lourdeur des situations, bref de nous décrire la relation exacerbée avec sa mère « Mois je me farcis ma mère comme d’habitude »
Un livre simple, vivant, gouailleur, humain. Une lecture tonique qui remet les pendules à l’heure où, quelque fois, je me suis reconnue dans mes relations avec ma mère de 94 ans, avec un peu beaucoup moins d’amour.
Koumiko est écrit à la première personne, par l’auteure elle-même, qui raconte son quotidien auprès de sa mère, vieille dame malade d’une dégénérescence du cerveau. Ce roman présente ce que peut endurer les proches. Ce jour après jour, on verra ce que promet le lendemain, est certainement ce que vivent tous ces gens qui voient se détériorer le corps mais aussi l’âme de ces êtres qui sont chers, des parents proches, un père ou une mère.
On y rencontre une femme, maman, qui se bat aux côtés de sa maman contre la maladie, en oubliant consciemment ou inconsciemment qu’elle a, vicieuse, s’immisçant dans la vie de tous les jours, toujours plus durement. On y voit une femme, une fille, qui aime profondément sa mère, mais qui ignorant un futur difficile, réagit parfois instinctivement, aussi durement que la maladie peut l’être. C’est un roman qui rend hommage à ces personnes qui accompagnent leurs parents dans une difficulté dont il n’y a qu’une seule issue.
Le récit est fluide, écrit avec beaucoup de spontanéité, beaucoup de fraîcheur, on se sent proche, à côté, dans ce texte qui sous des airs très optimistes est d’un réel poignant et fragile.
Un très beau roman d’une auteure à l’écriture très réelle, dans le vrai, avec une facilité rare.
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