"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Arsène Le Rigoleur est un paysan d'une quarantaine d'années qui vit en Bretagne intérieure, ancré à sa terre et rusé comme un renard. Son village, c'est son territoire, et gare à ceux qui viendraient fouiner dans ses histoires. Dans la métairie voisine, une belle ferme rénovée du XVIIe siècle, une famille vient de s'installer, les Maffart. Ils appartiennent au monde détesté de la ville. Dès les premières incursions de leurs deux enfants dans la cour du Rigoleur, la peur s'installe. Qui est-il vraiment ? Sans doute pas ce qu'il donne à voir : cet ours célibataire un peu simplet qui, du matin au soir, s'occupe de ses vaches et de son poulailler. Car Le Rigoleur, narrateur du roman, ne cache rien au lecteur des profondeurs troubles de son personnage. C'est un renard, oui, et depuis sa tanière il surveille son aire de chasse et règle ses comptes à sa façon.
Fabienne Juhel explore un territoire imaginaire aux franges du naturalisme et de l'onirisme dans un roman singulier, composé dans une langue brute qui reconstitue un parler populaire plein de verdeur, ironique et violent.
Un roman placé sous le signe du renard : la grande majorité des 33 chapitres comportent le nom de cet animal roux, rusé, impossible à apprivoiser et connoté négativement.
Le renard est ici comme l'ombre malsaine qui plane sur tout le roman , la métaphore du mal dans cette histoire familiale qui se déroule dans la Bretagne agricole en voie de transformation. « C'est plus pareil. Y a pas que le temps qui se détraque, y a la terre qu'on respecte plus. Des parcelles transformées en lotissements. Des puits qu'on bouche, les lavoirs aussi. Et puis les quotas imposés par des bureaucrates, le cul vissé à leur fauteuil en cuir ceux-là »
C'est ce que supporte mal le narrateur, célibataire aigri, qui rumine son amertume et ses souvenirs d'une enfance marquée par la violence qu'il a vue et reçue « Parce que quand on est môme, on apprend à se taire et à écouter. Et à ronger son frein. La haine d'un môme, c'est quelque chose de terrible. Y a pas pire. Et je sais de quoi je parle. ». Cette rancune, cette violence , cette part obscure qu'il conservera en lui, il la reproduira plus tard …....
Et ce narrateur, c'est Arsène Lerigoleur, un personnage bien mal nommé : avec lui, on ne rigole pas, on subit .
Un roman du terroir ? S'il est fortement ancré dans la Bretagne agricole, encore marquée par ses traditions, ses codes culturels et religieux, il est loin d'idéaliser la vie qu'on y menait et qu'on y mène encore . C'est un roman régional mais qui transcende ce genre par la complexité du personnage d'Arsène .
Si Arsène incarne le mal, il a aussi des moments d'humanité. Il a des souvenirs émus de vacances heureuses chez sa grand-mère, il est attendri par la présence de son « feu follet »: une petite voisine de 6 ans . Lui qui a été toujours été « du côté de sa mère »pendant l'enfance, il lui rend fidèlement visite chaque dimanche à la maison de retraite. Il est aussi habité par le fantôme de François, un frère qu'il n' pas connu mais auquel il s'adresse comme s'il était à ses côtés.
DU COTE DU RENARD : un roman troublant, oppressant, bien construit : une sorte de thriller familial .
Drame rural de veine réaliste, le récit se déroule de nos jours, quelque part en Bretagne, il pourrait s’être déroulé partout en France où les paysans ne s’appellent pas encore exploitants agricoles. Les sociologues parlent d’agriculture familiale, ils sont presque tous partis à la ville, il reste un fils au village pour reprendre la ferme, souvent célibataire, vivant avec ses parents. Quand personne n’assure plus la succession, les bâtiments s’écroulent ou sont vendus à des « rurbains » qui travaillent à la ville et vivent à la campagne. Je viens de vous présenter Arsène Le Rigoleur, le Père, la Mère et la famille Maffart avec ses deux enfants Louis et Juliette. Les uns sont encore au XIXe, les autres ont perdu les valeurs et les usages de la civilisation rurale.
Dans la foulée de l’auteur qui reprend avec pertinence des paroles d’une magnifique chanson de Brel, « Les gens », je dirais que chez les Rigoleur « On cause pas, Monsieur, on cause pas ». Tous des taiseux, aux mœurs rustres, capables de cacher de lourds secrets, croyants voire mystiques, Dieu et la Nature se partageant leurs âmes rudes . Justement l’Arsène… Pas un saint, bon fils mais criminel, récidiviste, chaque fois pour de bonnes raisons, en des gestes d’exorcisme d’un lourd bagage (la sexualité fruste, l’autorité du Père, le passé de la Mère, la haine d’une quasi-sorcière). Sombre drame qu’éclaire la petite Juliette, le « feu-follet » d’Arsène ; elle entend en sa compagnie l’appel de ses probables aïeux paysans. Tout l’intéresse : la ferme, les plantes, les fleurs, les animaux… Elle sera vétérinaire !
Le renard est la pierre angulaire du roman, pas le renard malin de la fable de La Fontaine, le renard sauvage qui ronge les cœurs, bouleverse la conscience du Père et le fait mourir de rage. Il est juste et beau, tendre et violent, délicat et cru ce roman écrit en hommage à la France d’avant la modernité.
La poule qui glousse n'est point offensée. Quant à placer ce livre dans les trente, pourquoi pas, tout dépendra de ce que je lis encore et des autres membres du jury qui glousseront peut-être moins
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