"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans son nouveau roman Hervé Bougel retombe en enfance. Son narrateur est à une période charnière de sa vie, il va entrer au collège et essayer de s’imaginer un avenir, même si de la fenêtre de son HLM de Voiron les perspectives ne sont pas très gaies.
Nous sommes en juin, juste avant les vacances scolaires. En cette fin des années 1960, le narrateur va quitter le CM2 pour entrer en sixième. Une perspective qui le réjouit plutôt, car il n’aime guère son instituteur, même si ce changement s’accompagne aussi de craintes. Sera-t-il à la hauteur? Conservera-t-il sa bande de copains? Et son père sera-t-il encore là pour l’accompagner? Autant de questions qui le hantent et l’angoissent, car jusqu’à présent les choses se sont plutôt mal passées. Sa famille a quitté Tullins pour s’installer au troisième étage d’un immeuble de Voiron, au pied des Alpes, car son père avait déniché un travail dans une usine à papier. Mais encore une fois ça n’a pas duré: «Il ne travaille pas, il ne travaille plus. Au fil des journées, il reste assis dans son fauteuil, face à la télévision qu’il n’allume pas. Il ne lit pas, à part son journal, Le Dauphine libéré, qu’il m'envoie acheter au bureau de tabac». Souvent aussi, une bouteille fait partie de la liste des courses. Car l’alcool est devenu le compagnon d’infortune de son père, l’alcool qui lui a fait perdre non seulement son travail, mais aussi sa dignité. Aux oreilles de son fils, le témoignage de son ami fait mal. Très mal: «Ton père, je l’ai vu remonter l’avenue Jules-Ravat un soir, il faisait froid. Il ne tenait plus sur ses jambes tellement il était soûl. Mon père à moi, il dit que c’est malheureux, que c’est un pauvre type, comme un clochard, quoi! Il paraît qu’au travail, ses copains l'ont assis dans une poubelle, un jour où il avait trop picolé, c'est pour ça qu’on l’a foutu à la porte de l'usine. Ton père, alors, c’est le Roi des Ordures.»
Et quand il joint de la belladone à son traitement, alors la peur gagne toute la famille. «Nous savons simplement que tout peut basculer, à tout instant. Notre ordinaire est fragile, suspendu. Les cris dans la nuit, les disputes, les coups échangés dans la salle à manger. Le marteau qu’il brandit un soir, l’écran de télévision fracassé: Regarde ce que j'en fais de ta saloperie de télé!
La peur, à tout instant, la peur même au sommet de la joie, quand elle survient. La peur incessante, celle qui poigne le cœur. La peur qui enserre, la peur qui réduit, la peur qui diminue la vie. La peur qui harcèle. La peur qui tord le ventre et monte à la tête.»
Hervé Bougel a parfaitement su trouver les mots, à hauteur d’enfant, pour dire ce quotidien difficile. Sa mère qui fait des repassages, sa sœur qui joue à des jeux de fille et son frère aîné qui rêve d’être champion cycliste tout en déversant sa morgue sur le petit dernier ne laissent guère de place aux rêves. Fort heureusement, il y a les copains et même une fille qui pourrait l’aimer…
Dans cette France où l’on mange le poulet aux olives en regardant La séquence du spectateur, il demeure un fragile espoir de vie meilleure. L’espoir fait vivre!
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A dix ans, le gamin qui nous confie ses craintes vit dans un univers violent, rude, et sa vie de tous les jours se décline entre les éclats avinés de son père, lorsqu’il n’est pas ivre au point de ne pouvoir se lever, ou suicidaire, et la brutalité de l’instituteur. Quant à son frère, le futur ex-champion, l’enfant devine sans en mesurer totalement la gravité que ce qui se passe la nuit, entre lui et sa jeune soeur, appartient à ce qui ne doit pas se dire.
Roman noir, qui traduit une réalité sociale des années 60, alors que s’élèvent des barres d’immeubles dont les minces parois sont moins efficaces que le silence pour cacher l’indicible.
Pas d’étiquettes sur les faits, restitués par l’enfant : alcoolisme, inceste, violences, tout cela transparaît sans être dit. Reste l’angoisse, les peurs diffuses, de celles qui créent pour l’avenir le meilleur ou le pire.
L’écriture restitue avec réalisme les confidences d’un enfant qui perçoit sans naïveté le mal qui ronge sa famille et doit malgré tout se construire sans pouvoir intervenir, démuni comme on peut l’être à cet âge.
Le récit d’une enfance volée.
Noir c'est noir
Il n'y a plus d'espoir
Oui gris c'est gris
Et c'est fini, oh, oh, oh, oh
Ça me rend fou j'ai cru à ton amour
Et je perds tout
Je suis dans le noir
J'ai du mal à croire
Au gris de l'ennui
Et je te crie, oh, oh, oh, oh
Je ferai tout pour sauver notre amour
Tout jusqu'au bout
Si un mot peut tout changer je le trouverai
Il ne faut plus en douter, il faut essayer
Noir c'est noir.
J. Halliday
Une histoire très triste qui m'a fait penser à cette chanson...
8 chapitres pour les 8 derniers jours de CM2 de ce garçon de Voiron, zébrés de souvenirs tous aussi sinistres les uns que les autres : l’abattoir de l’ancien voisin boucher qui jouxtait le mur du salon de l’ancienne maison, les activités nocturnes douteuses de son frère et les cris assortis de sa sœur, les pleurs de sa mère dans la nuit, les injures du père, les humiliations de camarades, de voisins, de l’instit, les coups, encore les coups, les dettes d’alcool à l’épicerie… Un tableau bien sombre, qui, s’il n’est pas dénué de style, reste peu nuancé.
Je n’ai pour ma part trouvé aucun plaisir à assister à ces humains qui se déchirent sur fond de misère sociale, sans qu’aucune lueur ne vienne redorer l’ensemble. Je n’ai pas cru au soupçon d’espoir du narrateur qui apprécie un bouquet de boutons d’or au cours d’une promenade, seule couleur dans ce livre noir... Je n’y ai pas cru parce que rien n’est fait pour que l’on ait envie, ni d’y croire, ni de rester un instant de plus avec ces gens sinistres et malheureux voire méchants. Trop de tristesse, trop de cruauté pour moi, même si le roman est bien écrit...
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