La revue de presse livres vous dit tout ce qu’il faut savoir — et emporter — avant l’été !
Colette Keber de la librairie "Les cahiers de Colette" rue Rambuteau, à Paris, nous présente ses coups de cœur de la rentrée littéraire de janvier 2016. Histoire de la violence de Edouard Louis (Seuil) : "Edouard Louis est un grand écrivain, une...
La revue de presse livres vous dit tout ce qu’il faut savoir — et emporter — avant l’été !
La Revue de Presse littéraire de mars 2016
Dans ces conseils de libraire" spécial rentée littéraire janvier 2016, Colette Keber de la librairie "Les cahiers de Colette" à Paris nous présente ses coups de cœur
Nouvelle rubrique : la Revue de Presse littéraire de janvier
En 2014, Edouard Louis faisait à vingt-et-un ans une entrée fracassante en littérature avec un roman largement autobiographique dénonçant l’homophobie. Une décennie plus tard, il en est au septième livre consacré à sa famille, le dernier sur ce sujet annonce-t-il, où il s’interroge sur son demi-frère, tué par l’alcoolisme à trente-huit ans.
De neuf ans son aîné, ce frère sans prénom dans le livre avait la même mère qu’Edouard Louis, mais pas le même père. Un père qui les a abandonnés, lui et une autre demi-sœur de l’auteur, lorsque leur mère s’est remariée. La fille s’en est remise, pas le garçon qui a sombré dans la dépression et l’alcoolisme, incitant l’auteur à réfléchir, au-delà des déterminismes sociaux liant ici pauvreté, délinquance, alcool et mort prématurée, à la psychologie de ce frère par ailleurs si violemment homophobe que lui-même avait depuis longtemps préféré ne jamais le revoir.
« Je détestais souvent mon frère, mais j’ai besoin de comprendre », écrit-il. Parce que, même s’il n’était alors qu’adolescent, une question l’obsède : « Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? Qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Et ce sourire de mon frère me jette la question au visage, et je ne sais pas, je ne sais pas. » « Peut-être que je ne sais rien de mon frère, mais j’ai besoin de croire que je sais. Peut-être que j’ai besoin d’une histoire, d’une explication, de quelque chose qui ait un sens. D’un rempart contre l’oubli. » Alors, l’auteur fouille ses souvenirs, interroge ses proches et ceux de son frère, s’intéresse à la psychiatrie et à la psychanalyse en lisant Freud, Binswanger, Michel Foucault ou encore Julia Kristeva, enfin trouve dans la littérature, chez Anne Carson et Jamaica Kincaid par exemple, d’autres récits en résonance avec le sien.
Entre doute et tristesse, une forme de tendresse hésitante pour ce frère maudit, blessé dans son être jusqu’à s’autodétruire, s’insinue entre les lignes de ce texte qui, s’ouvrant sur l’annonce d’une mort sordide et s’attachant dans la plus grande sobriété de style à recoller les morceaux d’une existence enlisée dans la souffrance, reconstitue ce qui apparaît comme le destin aveugle d’un personnage de tragédie grecque. Né dans un autre milieu et non dans cette « partie de la classe ouvrière [où] les blessures psychologiques n’existent pas », où il n’y a aucun lieu pour les dire et pas non plus « d’accès aux tentatives, qu’elles soient ratées ou réussies » par manque d’argent et d’accompagnement, qui sait ce que ce frère aurait pu devenir malgré tout ? Et l’auteur de s’interroger sur ce qui fait nos destinées. « A quel moment est-ce que des actes deviennent destin ? Jusqu’à quel moment quelqu’un, mes parents par exemple, aurait pu infléchir la direction que prenait sa vie ? À partir de quand est-il trop tard ? »
Terrible anamnèse d’un naufrage humain, social et familial, ce texte très contenu qui dévoile fort honnêtement la perplexité mêlée de ressentiment et de regret de l’auteur ne laisse de beau rôle à personne. Un récit navrant et bouleversant, aussi sensible que lucide.
Me reviennent les paroles du choeur dans l’« Antigone » d’Anouilh : « Dans la tragédie, on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme !… Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, … , à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit... » J’ai repensé à ces mots en lisant ce portrait du frère, alcoolique, mort à 38 ans.
Lui aussi pris comme un rat.
Ce texte m’a bouleversée.
J’ai entendu la voix de l’auteur, ses mots justes, précis, posés, exacts, à la recherche de la vérité, une vérité dont il a pensé un jour qu’il la connaissait, lui, peut-être même qu’au début du livre, il y croyait encore à cette vérité qui explique tout. Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il s’était trompé sur pas mal de choses. Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il ne savait pas.
Parler d’un frère mort, un frère qu’on n’a pas aimé, raconter comment il ne s’en est pas sorti, comment avec toute la violence qu’il subissait depuis l’enfance, l’indifférence, les rires moqueurs, l’absence d’amour, de reconnaissance, d’encouragement, il ne pouvait pas s’en sortir. Une tragédie. Terrible. Une tragédie des temps modernes. « Mon frère vivait dans la terreur que ma vie ne ressemble à la sienne. » Une famille où la mère se tait et où le père rabaisse constamment le gamin. On lui dit qu’il ne vaut rien. Qu’il se suicide, c’est son problème ! « La violence circulait entre nos corps, comme un flux, comme un courant électrique. » Un gamin qui se débat, qui cherche une porte de sortie, qui revient régulièrement chez ses parents pour dire qu’il a peut-être trouvé un boulot. Mais personne n’y croit. On lui ricane au nez. Alors il tente autre chose. Mais toutes ses tentatives échouent. Parce que, dans une tragédie, on a beau se débattre, on ne s’en sort pas. Cela s’appelle l’Injustice. Et les mots de l’auteur, comme un choeur qui se lamente : « et je suis tellement triste, tellement triste » me font pleurer.
« L’effondrement » est un livre somptueux, comme peut être somptueuse une tragédie dans sa pureté, sa force, le désastre qu’elle porte en elle dès les premières lignes. Le déterminisme social comme une malédiction, une infortune, une calamité qui ne lâche jamais prise, toujours rattrape, plane au-dessus de la tête comme les Érynies, riant de voir que l’abîme se rapproche. Pas la peine d’essayer de fuir. Comme dans les sables mouvants, plus l’on bouge, plus l’on s’enfonce. Alors, il faut se taire et rester à sa place. Mais le frère avait des rêves plus grands que lui.
Et la prise de conscience de l’auteur qu’il n’y a peut-être pas qu’une seule explication. Que la sociologie n’est pas suffisante, qu’il y a peut-être d’autres réponses, ailleurs. Et ces mots qui concluent l’oeuvre : « Encore une chose que je ne savais pas » et qui résonnent en nous comme les mots d’un enfant.
« L’effondrement » est un livre terrible et sublime.
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Dans ce nouveau roman où il poursuit l’étude de sa famille dysfonctionnelle, Édouard Louis parle de son frère, rongé par l’alcool et mort à 38 ans. Transporté à l’hôpital après avoir été trouvé inconscient chez lui, les médecins annoncèrent qu’« il n’y avait plus d’espoir. Cet effondrement était celui de trop. »
Édouard Louis mène sa narration comme une enquête en énumérant les faits.
A travers la courte vie de ce demi-frère violent et grossier qui avait été abandonné par son père et humilié par son beau-père, l’auteur analyse les mécanismes sociaux qui mènent à une destinée tragique. Il fait appel à la psychanalyse, la sociologie et la philosophie pour tenter de comprendre cette mort qui s’apparente à un suicide. A travers cette disparition, il s’interroge aussi sur sa propre vie, et sur cette famille dysfonctionnelle qui a pu, par son abandon, provoquer un tel drame.
Très tôt tombé dans la délinquance, ce frère jamais nommé par son nom, veut être le grand frère d’Édouard Louis avant de le repousser par homophobie.
Quant à l’auteur, nulle affection ne le liait à ce frère encombrant et instable. Pourtant, les femmes l’aimaient, le trouvaient gentil et attentionné jusqu’à ce que la violence à cause de l’addiction à l’alcool le rende invivable. A cause de son comportement, il est rejeté et se sent humilié tout en rêvant à une vie meilleure qu’il ne saura jamais atteindre.
« Toute sa vie mon frère a été chassé. Toute sa vie mon frère a eu des comportements qui l’ont conduit à être chassé ».
Même si le narrateur cherche quelques excuses à ce frère qui « rêvait trop grand », il n’y a pas beaucoup d’empathie de sa part.
« Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors… »
La scène où Édouard Louis refuse de payer l’enterrement est terrible.
J’ai été gênée par la froideur et la distanciation de l’auteur que l’on retrouve dans son style
L’effondrement est un roman minimaliste avec beaucoup de redites. Malgré un sujet grave, il ne m’a pas vraiment convaincue.
« Je n'ai rien ressenti à l'annonce de la mort de mon frère ». L'incipit du dernier livre d'Édouard Louis rappelle celui de « L'Étranger » de Camus par son laconisme et sa froideur.
C'est sa mère avec laquelle il a renoué (cf. « Combats et métamorphoses d'une femme » et « Monique s'évade ») qui l'informe que son aîné, avec lequel il ne partage pas le même père, a été retrouvé inconscient dans son appartement.
Son foie et ses reins, rongés par l'alcool, avaient cessé de fonctionner.
« Techniquement mort », il est artificiellement maintenu en vie avant que la famille, en l'occurrence la mère, ne prenne une décision.
Il avait trente-huit ans. Édouard ne l'avait pas revu depuis près de dix ans. Parce qu'il ne supportait plus son homophobie, sa violence, son alcoolisme...
Pourquoi et comment en est-il arrivé à mourir au mitan de sa vie ? C'est ce que l'auteur de « Changer : méthode » va tenter de saisir.
La principale clé de compréhension se trouve dans la psychologie. Le frère avait des rêves trop grands pour lui : ouvrir la plus grande boucherie du monde, restaurer Notre-Dame, devenir un riche propriétaire immobilier...
À chaque fois, il se confrontait à la réalité qu'il prenait en pleine face et échouait. Contrairement à ceux de son milieu qui limitaient leurs aspirations – avoir un pavillon, une nouvelle voiture, une télévision plus grande -, ses espérances étaient inatteignables.
Et c'est cette frustration qui le rendait si triste, voire dépressif, et qui l'a conduit à se détruire constate Édouard Louis qui livre ici une véritable enquête sur son frère en interrogeant les femmes qui ont partagé son existence. Toutes assurent qu'il était le plus gentil des hommes, sauf quand il buvait. Là, il devenait extrêmement violent et insultant. Et plus le temps passait, plus il s'alcoolisait.
Ce qui est passionnant dans « L'Effondrement », c'est le glissement de focale de la sociologie, en tout cas celle qui explique tout par le poids des déterminismes sociaux, vers la psychanalyse et la psychiatrie dans lesquelles le narrateur s'est plongé pour tente de mieux pénétrer la complexité de son frère, le manque d'amour parental dont il a souffert, l'image de raté qu'il renvoyait à ses proches et la « Blessure » qui l'empêchait de profiter simplement des petits plaisirs de la vie.
Avec « L'Effondrement », Édouard Louis signe le dernier opus du cycle familial auquel il s'est quasi exclusivement consacré depuis la publication d'« En finir avec Eddy Bellegueule » il y a dix ans.
C'est peut-être le plus sombre parce qu'il pose la question de la culpabilité d'un garçon qui aurait pu aider son frère (« Qu'est-ce que j'aurais pu faire pour lui et que je n'ai pas fait ? » s'interroge-t-il).
EXTRAIT
- Mon frère était malade de ses rêves.
http://papivore.net/litterature-francophone/leffondrement-edouard-louis-seuil/
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