"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
ecueil de nouvelles toutes inspirées par la mort, la mort en action devrait-on dire... mais la mort se dit-elle, se raconte-t-elle ou ne parle-t-on jamais que du vivant, du survivant ?
Parler, c'est bien de cela qu'il s'agit, des voix qui parlent, qui s'entremêlent. la mort ne s'écrit pas, encore moins qu'elle ne se dit. Ces voix donc qui, à son approche ou quand elle tourne le dos, s'entremêlent indistinctement, laissant à peine effleurer des bouts de sens, de lambeaux de vécu.
Avons-nous ici affaire à de purs tropismes tels que Nathalie Sarraute nous les a révélés ? L'univers de la sous-conversation, des mots échappés, des souvenirs qui se balbutient ? Tout cela glisse doucement dans une prose efficace non pas vers une fin car la fin est déjà consommée quand surgissent ces voix, ce récit, mais glissent vers un pan de lumière, comme dans cette nouvelle toute en délicatesse "Avec Anne".
C'est avec un dessin surprenant que l'on aborde ce nouvel inventaire, un visage à la Willem de Kooning, dans toute son aspérité, squelette ou vivant, les deux sans doute ou aucun, la bouche ouverte sur un cri.
C'est aussi un inventaire à la Prévert mais, cette fois, à propos du manque de communication, de la fatigue, du désespoir, des blessures jamais refermées, de l'apathie ambiante, inventaire des cris de la misère du monde. Tous, ces cris qu'on n'entend mais auxquels on ne s'habitue jamais. Elle le fait dire à un de ses personnages :
"L'habitude ça n'existe plus !"
Violence, guerre, accidents, noyades, suicides et turpitudes du quotidien qui n'en finit pas de quotidienner... Il y a aussi cette antique sagesse qui fait entendre sa voix dans nos rues; il y a même ce cri très logique d'Antigone qui adopte un sans-abri pour vivre son destin.
Et ceux de l'écrivain (personnage du livre) qui se met lui même en scène, les cris enfin de l'autrice Christina Mirjol qui les endosse et les consigne, les met en scène, traduit la laideur en beauté comme le fait cet autre personnage avec l'horreur de sa soeur morte d'épuisement en apportant l'eau :
"Quand je chante aujourd'hui et qu'il pleut sur la ville, je suis content. Je raconte à l'eau ce que je fais ici. Je dis ce qu'il y a de sec qu'il faudrait irriguer. Ce qui est trop mouillé. Ce qui est trop pourri."
Une suite de cris à lire avec parcimonie car leur intensité émeut, blesse parfois. Une suite de cris, pourtant, qui se répondent, qu'il faut lire ensemble car elle forme un écheveau de destins qui se croisent, croisent leurs souvenirs, leurs désespoir et engendrent leur descendance... Aussi souvent faut-il même revenir en arrière, réécouter les cris plus anciens pour comprendre les plus récents car ce sont bien des récits ou plutôt de vraies vies qui se tissent dans les pages.
Parmi tous ces cris, les plus silencieux ne sont-ils pas les pires tels ceux de ces personnages à la Beckett traînant leur paillasson au travers d'une scène imaginaire symbolisant pourtant ce qu'il y a de plus authentique dans notre vécu ? Ne sommes-nous pas tous des cris plus ou moins silencieux ?
Chaque cri est un poème, une sphère où s'ouvre un monde entier; chaque cri invente le suivant, l'appelle, chaque cri complète le précédent, l'explique tout en le niant, tous ces cri, tous ces cris, l'humanité s'y cherche-t-elle pour au moins respecter un moment de silence.
Avez-vous vu ces notes après la préface à propos des oiseaux ? Les avez-vous lues attentivement ? Presqu'un poème. Nécessairement plus qu'une description de photographies d'oiseaux dans le froid... Voilà le décor de l'oeuvre planté, voilà la métaphore première de la fragilité humaine privée d'un logis, d'un abri, comme ces frêles oiseaux sous la neige. Voilà le premier regard, la première voix à l'oeuvre dans le texte.
Car l'homme et le froid sont bien les fils conducteurs de ce récit qu'accompagnent ci et là, quelques oiseaux frileux.
Ce sont, avec ce texte préliminaire, quatre regards, quatre voix, quatre dires qui forment ces quelques instants de la vie de l'homme. Jamais les mots itinérant, mendiant, SDF, vagabond, clochard, sans-abri..., jamais aucun de ces mots qui dégradent n'est utilisé pour le qualifier puisqu'il s'agit d'un homme... simplement.
Avec la seconde voix - 1re partie du récit, un narrateur externe raconte l'éveil de l'homme dans le jardin de la BNF - décor imposant ouvert aux vents.
La troisième voix raconte comment un couple aux prises avec le froid va simplement porter attention à cet homme qu'ils croisent transi puis lui tenir la porte que celui-ci puisse se réchauffer dans le hall d'un cinéma. Regard omniscient qui nous rapporte les émotions et le cauchemar qui s'ensuit de la femme qui l'épie.
La quatrième voix est celle de l'homme lui-même, démuni, aux prises avec sa jambe handicapée et son dénuement. Il s'agit d'un monologue à la Beckett, oserais-je dire, entre l'homme et son caddie où l'humanité réduite à sa plus simple expression reprend toute l'action déjà décrite mais cette fois-ci au ralenti, dans l'effort sinon la souffrance du malheureux.
C'est dans le choix des mots que Christina Mirjol nous partage toute sa compassion et plus encore la lumière, l'illumination que produit le combat de cet homme avec la vie. C'est avec son art de découper l'action, de répéter les moindres réflexions du monologue, de s'attarder pour finalement faire cheminer bien doucement le récit d'un petit geste à un autre que l'auteure nous livre une vision enluminée et quasi hagiographique de l'existence, de l'humain réduit à sa plus simple expression : malgré tout... avancer.
Un texte fort, à l'écriture travaillée autour de sa sincérité au point de sembler tout naturellement vécu.
Les Cris. Nouvel inventaire, est un livre hors normes, à la fois loufoque, poétique, déjanté et très réaliste. En reprenant et complétant son premier, ses premiers 99 cris, Christina Mirjol affirme un peu plus son extrême originalité, son sens du théâtre et son don pour l’observation de la vie quotidienne.
En 199 cris, certains très brefs, l’autrice passe en revue une somme importante de comportements, de drames du quotidien, d’absurdités que chacun de nous peut constater ou entendre. Le Cri n° 74 concernant les ronds-points est un modèle du genre.
Christina Mirjol, découverte avec plaisir dans Un homme, sait mettre en forme tout ce qu’elle observe et imagine ; elle articule ces cris déchirant le silence ou se contentant d’assumer leur réalité avec force.
Bien sûr, un écrivain revient régulièrement comme ce chien ou ce paillasson – pas de comparaison hasardeuse, s’il vous plaît ! – ce paillasson source de bien des conflits mais j’aurais préféré plus de liant, même si je sens sourdre régulièrement ce réalisme terrible que ces Cris mettent à jour. Je pense en particulier à cette petite fille qui doit faire 20 kilomètres à pied pour aller chercher de l’eau au puits (Cri n° 8).
C’est un véritable monde de l’absurde que l’autrice révèle et pourtant, chacun de nous peut avoir assisté à certaines scènes. Cela peut être du théâtre car certains dialogues sont surréalistes, accompagnés de didascalies.
Les tranches de vie qui se succèdent peuvent être tragiques ou comiques, révélant le summum de l’incompréhension dans certains couples avec cette jalousie toujours sous-jacente.
De plus, Christina Mirjol sait jouer avec les mots. Cela peut être désopilant comme dans ce Cri n° 71 où la femme d’un mari rencontre la femme d’un autre. Les voilà qui comparent la toux de l’un et les éternuements de l’autre…
Le Cri n° 76 est court et réussi lorsque le vocabulaire de l’informatique pousse aux cris de l’incompréhension. Bien sûr, l’humour noir est présent et le portrait ornant la couverture, repris en noir et blanc à la page 174, signé Jacques Cauda, colle bien à ce nouvel inventaire des Cris.
Ce peut être à l’occasion surréaliste, à la limite du fantastique, avec des enchaînements parfois difficiles à comprendre. Quant au Cri n° 122, c’est à moi qu’il fait pousser un cri d’horreur à cause de cette mère et de sa fille de quinze mois qu’elle confie à la marée… comble du désespoir. La folie n’est jamais loin ; l’esprit très agité de cet homme dans un train en est bien la preuve.
Christina Mirjol, avec talent, donne aussi la parole à ces gens qui déballent leur savoir, étalent leur suffisance mais elle touche à l’excellence dans le Cri n° 192 ; un texte magnifiquement réaliste fait vivre un enfant qui s’émancipe, qui se dégage de la protection de sa mère, qui grandit. Le texte dépouillé, à l’os, comme on dit aujourd’hui, est d’une efficacité impressionnante, tout en poussant l’émotion au maximum.
Enfin, Les Cris. Nouvel inventaire, se terminent par ce Cri n° 199 qui résume bien l’ensemble : « Oh ! vous savez, ça ne s’arrange pas, non non, ça ne s’arrange pas du tout… Nous, maintenant, c’est pas compliqué, on a peur de vivre ! »
Je remercie chaleureusement Christina Mirjol pour cette expérience littéraire hors nomes, d’une originalité bouleversante, qu’elle m’a permis de vivre en me confiant Les Cris. Nouvel inventaire.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/04/christina-mirjol-les-cris.nouvel-inventaire.html
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