"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Dans le monde a surgi un sentiment nouveau
A travers le monde passe un puissant appel ;
Sur les ailes d’un vent favorable
Qu’il vole maintenant de lieu en lieu
Sous le signe sacré de l’espoir
Se rassemblent des combattants de la paix
Et c’est rapidement que la cause croît
Grace au travail de ceux qui espèrent. »
Ce message d’espoir, de foi dans le futur, écrit en esperanto, a été découvert près de la base russe de Zlato par des archéologues de la base francophone d’Ubunto-bay. Nous sommes au Pôle Sud, sur le continent antarctique. Suite au signalement des scientifiques soviétiques concernant la découverte d’un cairn près d’un nunatak (montagne recouverte de glace), une équipe de chercheurs français a été dépêchée. Ils ont quitté les fouilles entreprises sur l’épave d’un bateau pris dans les glaces au siècle dernier, persuadés qu’ils pourront y trouver traces des naufragés. A défaut de traces humaines, ils ont trouvé, sous les pierres, ce mot écrit sur une fine feuille de papier enroulée dans un stylo.
L’entraide fonctionne bien ou plutôt fonctionnait bien entre les équipes des camps de nationalités diverses. Il faut dire que ce continent est soumis au traité sur l’Antarctique qui date de 1959, qui gèle notamment toutes les revendications de souveraineté d’un pays. Mais voilà, sur la radio satellitaire de notre base d’Ubunto-bay, les informations ne sont pas rassurantes de l’autre côté du globe, au Pôle Nord, la déglaciation plus avancée attise les convoitises d’exploitation des ressources naturelles. L’OTAN, la Russie et la Chine (ayant déclaré qu’elle était un Etat « quasi-polaire ») intensifient leurs activités militaires dans cette zone. Par répercussion, des militaires sont envoyés, pour encadrer les scientifiques, par les nations sur les bases du continent austral. Ma lecture récente d’un numéro de Géo d’août 2024 corrobore ce phénomène, la base-village d’Esperanza détenue par les argentins n’héberge plus que des militaires.
C’est sur le point de bascule de ce continent qu’Alizée Gau nous alerte dans ce roman « Tout le blanc du monde ». Menacé par ces visées géopolitiques, mais bien sûr aussi par l’effet du réchauffement climatique. On suit avec plaisir les travaux des chercheurs de la base, durant cet été austral, qui auscultent les icebergs et enregistrent leur chant, effectuent des carottages pour puiser « la mémoire vertigineuse » au sein des glaces. Avec nos deux héros Apollinaire, post-adolescent, originaire de Mayotte, un peu introverti à cause de sa synesthésie (capacité sensorielle exceptionnelle) et Johanne, une jeune baroudeuse documentariste dernières recrues de la petite équipe d’Ubunto-bay, nous suivons les difficultés d’une vie en vase clos. Nous sommes initiés, également, aux multiples dangers de cet univers de l’extrême.
Jolie lecture, enrichissante, dépaysante. Nous nous joignions à Alizée pour dédier ce livre « aux artisans de la paix au pôle sud, aux chercheurs du vide », pour que nous puissions chanter encore longtemps à nos petits enfants la comptine des amis de la banquise
« Donne-moi la main, je t’amène en voyage
Dans un pays lointain où vivent nos copains
Donne-moi la main, traversons les nuages
Partons faire une bise aux amis de la Banquise
Il y a la baleine qui chante comme une sirène
Et aussi le pingouin qui tape dans ses mains
Tiens voilà l’ours polaire avec son gros derrière
Et regarde le morse comme il bombe le torse
Donne-moi la main, on va faire des bêtises
Avec tous nos amis, nos amis de la Banquise »
Sincères remerciements à Maud des Editions Robert Laffont et aux Editions Dalva
Avec ce livre, je suis agréablement sortie de mes lectures habituelles et j'ai surtout découvert une jolie plume.
Les chapitres alternent entre deux voix, deux personnages qui se retrouvent dans un pays où deux populations cohabitent encore sous tension après la guerre. Et malgré ce pays imaginaire, l'autrice a adapté des thèmes qui pourraient le rapprocher de situations existantes dans des pays où doivent cohabiter des peuples ou minorités. Elle évoque aussi la condition féminine en temps de guerre mais aussi de manière générale.
*Leila est en deuil. Elle a perdu son grand-père. Il lui a légué des violons et lui demande de les apporter au Plavitza Rock School en Zaramestrie. C'est son pays d'origine. Leïla est biologiste mais elle joue elle-même du violon et va donner des cours dans cette école de musique où se côtoient des élèves des deux peuples qui ont été en conflit.
*2eme personnage: un photographe qui a couvert la guerre il y a 15 ans. Un peu rebuté de l'occident et de ses travers, il est revenu sur place pour raison professionnelle. Il se lie à une artiste originale et mystérieuse.
La plume est délicate et poétique dans ce pays où superstitions et croyances sont omniprésentes. L'autrice crée une histoire et des personnages plein d'émotions. Le tout donne une impression de douceur grâce à l'art, le style empreint de sensualité.
Douceur et calme qui contraste l'animosité qui subsiste, la répression ainsi que la volonté de vengeance, le froid qui règne et les tourments et angoisses de chacun dans un pays dont les esprits sont traumatisés par la guerre.
Au travers de cet Etat fictif d’Europe de l’Est, l’autrice met en avant les difficiles reconstruction et cohabitation entre deux communautés encore totalement opposées et qui peinent à vivre ensemble. Malgré les initiatives de rapprochement, comme l’école de musique, les sociétés se construisent sur l’opposition et l’’exacerbation des conflits et divisions passés, créant un repli identitaire et un blocage total. Le roman parvient à éviter tout manichéisme ou jugement de valeur en privilégiant un réalisme un peu désabusé, porté notamment par le personnage de Tim. La fin du livre se met au diapason, parvenant à boucler la boucle sans trop en faire ni trop en dévoiler, mais sans pour autant laisser le lecteur sur sa faim. Les aventures et expériences vécues par les deux personnages principaux se complètent très bien et leur addition produit un récit très dynamique qui emporte le lecteur avec lui et le fait réfléchir sur les difficultés de vivre ensemble en Zaramestrie. L’écriture d’Alizée Gau est très fine et pleine de sensibilité et parvient bien à restituer les états d’âme mais aussi les ressentis très différents des personnages. Le tableau d’ensemble se dévoile par petites touches successives, permettant au lecteur de mieux comprendre ce microcosme imaginaire en même temps que particulièrement réaliste qui n’est pas sans rappeler un certain nombre de divergences et conflits ethniques, dans les Balkans notamment.
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