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Et si les images avaient le pouvoir de faire changer les choses ou dénoncer ?

Nos questions à Pierre Demarty pour "Le petit garçon sur la plage" (Verdier)

Et si les images avaient le pouvoir de faire changer les choses ou dénoncer ?

Les explorateurs ont lu, aimé et chroniqué leurs livres cet été. C’est au tour des auteurs de prendre la parole. Ils répondent aux questions que les lecteurs leur ont posées. Cette semaine, c’est Pierre Demarty qui vient de publier Le Petit Garçon sur la plage aux éditions Verdier.

 
 

Comment est née l'idée du livre ?

J’ai écrit le premier chapitre le 3 septembre 2015 – tout de suite après avoir découvert, comme tout le monde, la photo du petit garçon syrien noyé, échoué sur cette plage turque. C’est venu comme ça, comme un jaillissement, une urgence. Sans réfléchir. Une nécessité. La suite s’est lentement tissée après, au fil des mois et des émotions plus sourdes que cette image faisait remonter – et puis la fiction s’en est mêlée…

 

Les deux images décrites vous ont-elles bouleversé comme le personnage du livre ?

Oui, absolument. Ce « personnage », c’est moi, mais déguisé en fiction, à la troisième personne, car je ne voulais surtout pas livrer un témoignage autobiographique, qui à mon sens n’aurait d’intérêt pour personne, et serait en outre très prétentieux.

 

Pourquoi choisir d'en dire si peu sur le personnage ? Afin de le rendre plus universel ?

Oui, en quelque sorte. Surtout pour ne pas focaliser l’attention sur lui, sur sa « petite personne », son cas particulier. Je voulais aller au plus près des rouages intimes de l’émotion, en faisant le plus possible abstraction des circonstances particulières de tel ou tel individu. Il fallait que mon personnage soit le plus « neutre » possible, afin que l’émotion le frappe de plein fouet, qu’elle ne soit pas « biaisée » par un contexte personnel.

 

Croyez-vous au pouvoir des images pour faire changer les choses ou dénoncer ?

Franchement ? Non. Mais je crois que les images peuvent bousculer les individus de manière extrêmement intime et secrète. Les faire changer, oui, en un sens – c’est-à-dire infléchir leur regard (sur eux-mêmes, sur le monde…). Mais changer l’ordre du monde, non.

 

Y a t-il des images qui ont changé votre vie ? Si oui lesquelles ?

Tout dépend de ce qu’on entend par « changer votre vie »… Mais l’image de tel ou tel film (pour parler de la fiction), ou l’image par exemple de la naissance de mes enfants (pour parler de la réalité), oui, ce sont là des images qui sont durablement gravées dans mon esprit, et qui à ce titre, je suppose, ont changé ma vie…

 

Je voudrais savoir pourquoi vous avez fait référence à des images si fortes pour faire imploser en silence ce père de famille ? N'aurait-il pas été plus logique de le faire littéralement exploser ?

Le faire « littéralement exploser », ç’aurait été un peu trop gore à mon goût… J’aime le silence, le non-dit, tout ce qui se passe sous la surface, invisible en apparence – mais qui n’en est pas moins violent, au contraire même. Les démonstrations extérieures d’émotion sont à mon sens toujours un peu suspectes, théâtrales. La vérité des émotions est quelque chose de profondément indicible – raison de plus, pour la fiction, de s’en emparer et tenter de la saisir…

 

Je trouve qu'il y a une telle dichotomie entre les références picturales et la réaction de ce père de famille, que j'en ai été déstabilisée. Et du coup je n'ai pas bien compris le message que vous avez voulu faire passer, d'ailleurs, s'il y en avait un, lequel était-il ?

C’est très bien que vous ayez été déstabilisée ! J’en suis ravi et je prends cela comme un compliment ! Pour ma part, je n’aime que les œuvres qui me déstabilisent ! Et non, il n’y a aucun message. Surtout pas ! La littérature n’est ni politique ni publicitaire, elle est précisément le contraire et n’a aucun message à faire passer. Elle s’efforce simplement de dire. De mettre des mots. L’image du petit garçon noyé sur la plage a été « instrumentalisée » à outrance, politisée, médiatisée. Elle a été immédiatement réduite, précisément, à un message. Elle a servi et elle a donc été asservie. Le « message » qu’on lui a fait porter, si noble et louable soit-il, interdisait toute réflexion, toute réaction personnelle. Je voulais contourner cela, tenter de décrire la force de l’émotion viscérale, violente et intime qu’elle a pu susciter (ou pas) en chacun de nous.

 

Avec les questions de Johanna Vergnaud et Fabienne DEFOSSE

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