"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
S'il n'avait craint les sentiments que lui inspirait la jeune Rebecca West, H.G. Wells, le père de la science-fiction, ne se serait pas enfui en Suisse pour y écrire un livre dans lequel il imagine, en 1912, une arme capable d'embraser le monde...
S'il n'avait lu ce roman méconnu, le physicien Leo Szilard n'aurait probablement jamais eu l'idée, quelque vingt ans plus tard, d'une réaction nucléaire en chaîne et, terrifié par ses possibles applications, tout mis en oeuvre pour convaincre Roosevelt de doter son pays de la bombe atomique.
Si les États-Unis n'avaient pas bombardé Hiroshima puis Nagasaki, en août 1945, des dizaines de milliers de personnes auraient survécu mais le sergent Flanagan, prisonnier de guerre des Japonais, aurait certainement péri et son fils Richard ne serait pas né seize ans plus tard en Tasmanie.
Question 7 est le récit virtuose, aux accents sebaldiens, d'une série d'événements ; l'examen magistral et déchirant de ce que signifie être en vie alors que tant d'autres sont morts. C'est aussi une lettre d'amour de l'auteur à ses parents, une oeuvre puissante fusionnant rêverie, histoire et fiction, pour tenter de saisir le sens de cet univers insensé.
Né en 1961 en Tasmanie, Richard Flanagan est l'auteur d'essais et de romans, dont La Route étroite vers le Nord lointain (Man Booker Prize 2014 ; prix Lire du Meilleur livre étranger 2016). Récompensée par de nombreux prix, son oeuvre est publiée dans 42 pays.
« Peut-être que la poésie ne fait rien advenir, mais c’est un roman qui a détruit Hiroshima et sans Hiroshima il n’y a pas de moi et les mots que vous lisez s’effacent et moi avec eux. » Explorant l’histoire de sa jeunesse en même temps que celle de l’invention de la bombe atomique, Richard Flanagan signe un récit autobiographique vertigineux, hanté par des questions sans fond.
Le titre Question 7 fait référence à une nouvelle de jeunesse de Tchekhov, dans laquelle l’écrivain parodiait les problèmes de calcul posés aux écoliers pour ouvrir des interrogations beaucoup plus vastes et surtout sans réponse. Tchekhov : « un train devant partir de la gare A à 3 heures du matin pour arriver à la gare B à 11 heures du soir », mais « le conducteur ayant reçu l’ordre d’atteindre la gare B à 7 heures du soir au plus tard », « qui aime le plus longtemps, un homme ou une femme ? » Et Flanagan de rebondir : « Qui ? Vous, moi, un étudiant d’Hiroshima ou un prisonnier de guerre ? Et pourquoi faisons-nous ce que nous nous faisons les uns aux autres ? Voilà la question 7. »
Des interrogations immenses vouées à demeurer en suspens, l’obligeant en fin de compte à soupirer « c’est la vie », l’auteur n’en manque à vrai dire pas. D’abord à propos de son père qui, libéré in extremis par la bombe atomique sur Hiroshima alors que, prisonnier des Japonais, il pensait mourir sur le chantier de la « Voie ferrée de la Mort » entre la Thaïlande et la Birmanie, n’évoquait jamais sa terrible captivité tout en en conservant la charge mentale pour le restant de ses jours. Comment vit-on quand on doit la vie à l’une des plus effroyables – et pourtant préméditée - catastrophes humaines qui soient ? Voilà une question 7 qui vaut autant pour son père que pour l’auteur lui-même, et qui nous fait remonter à ses côtés une enfilade de causes racines commençant par… un baiser !
Car, si l’écrivain H.G. Wells n’avait pas embrassé la journaliste Rebecca West en 1913, puis fui sa redoutable amante en Suisse l’année suivante, sans doute n’aurait-il jamais écrit ce roman méconnu, La Destruction libératrice, où il imaginait ce qui relevait alors de la pure science-fiction, mais qui, pris au pied de la lettre dans les années 1930 par le physicien hongrois-américain Leó Szilárd, devait devenir réalité : une bombe atomique capable de destructions massives sans précédent. L’exofiction se fait prétexte à une réflexion sur le poids de nos actes et sur les fantômes qui ne cessent de nous accompagner, comme si le temps ne coulait pas, mais retenait passé et vécu dans un perpétuel ressac obérant à jamais présent et futur.
Descendant d’Irlandais déportés en Australie, l’auteur évoque également à travers ses parents le refoulement des origines dans une Tasmanie bâtie, entre bannissement et colonisation, sur le génocide des aborigènes et sur l’enfer du bagne. Les spectres sont là encore légion à infléchir de tout leur poids la vie des Flanagan, mais aussi, dans une occultation transpirant le malaise, du pays tout entier. « Il y avait une grande souvenance qui était aussi un grand oubli, cent ans de silence qui, en y prêtant l’oreille, résonnaient comme un cri. » Familiale ou collective, la thématique de la mémoire investit de plus en plus le livre. « Le passé, c’est peut-être là où nous allons sans jamais y avoir été. » Et elle renvoie alors l’auteur à sa propre expérience avec la mort lors d’un accident de canoë : « L’expérience est l’affaire d’un instant. L’assimiler prend tout une vie. »
Après s’y être repris six fois en douze ans jusqu’à cette version aboutie, croisant expérience intime et regard éclairé sur le monde, Richard Flanagan partage une réflexion sur l’Histoire, la mémoire et ses traumatismes en tout point remarquable et passionnante. Une belle prouesse littéraire pour un grand coup de coeur.
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