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Les catégories modernes et d'abord occidentales des modes de sexualité (homosexualité, hétérosexualité, bisexualité.) ne sont apparues que tardivement en Europe, et plus tardivement encore au Sud et à l'Est de la Méditerranée. Au Maghreb, les références à ce que nous appelons aujourd'hui l'homosexualité ont jadis été extrêmement rares. On va parfois jusqu'à nier son existence. Il est pourtant évident que, là comme ailleurs, des femmes et des hommes sont attirés sexuellement par des personnes de leur sexe. Mais le poids des interdits - religieux, sociaux... - conduit obligatoirement à un vécu clandestin et à un non-dit au niveau du discours. Au Proche et au Moyen-Orient, en revanche, des travaux de plus en plus nombreux attestent la présence assumée de désirs que l'on pourrait qualifier de polymorphes, mais qui ne sont pas qualifiés d'« homosexuels », cette catégorie n'existant pas, pas plus qu'elle n'existait dans la Grèce ou dans la Rome antique.
Concernant le Maghreb, le Machrek et le monde musulman en général, se pose en outre la question de la place de l'homosexualité dans l'islam. Aujourd'hui prévaut un intégrisme qui voudrait revenir à une « pureté » originelle qui bannit l'homosexualité, mais qui en fait n'a jamais existé. Les premières sociétés islamiques, en effet, se sont souvent montrées tolérantes vis-à-vis des minorités sexuelles. Existait-il aussi une marge de liberté pour l'expression de ce désir dans les sociétés berbères traditionnelles ? La poésie orale apporte peut-être des réponses à cette question, mais également certaines pratiques ritualisées.
Dans les sociétés actuelles, l'homosexualité est souvent perçue à travers le prisme d'un rapport dominant/dominé (actif/passif) dans lequel l'homosexuel passif, homme qui fait « la femme », est jugée méprisable ; il y perd son honneur. La colonisation a renforcé cette image. Au Nord de l'Afrique comme au Moyen-Orient, l'homosexualité a été ainsi l'un des objets de l'imaginaire mais aussi des pratiques coloniales. Du coup s'est répandue l'idée que l'homosexualité était un mal venu d'ailleurs, de l'Occident qui, d'un côté, s'est libéré de son complexe vis-à-vis de l'homosexualité, de l'autre, se confond avec l'ancien colonisateur ou l'actuel exploiteur des richesses nationales. Contre cet Occident - dominateur et débauché - on cherchera à se défendre en érigeant les barrières de la religion et de la morale. Les homosexuel(le)s qui veulent s'affirmer comme tels, vivre leur sexualité sans se cacher, sont confrontés dans leurs milieux familial et social au mépris et au rejet. Leur tentation est de se tourner vers cet Occident qui s'est affranchi de ses tabous et, ce faisant, de renier leur culture, du moins la culture dominante de leurs pays.
Une autre voie d'émancipation est-elle possible pour les homosexuel(le)s d'Afrique du Nord et du Machrek ? Elle supposerait de leur part une réappropriation de leur sub-culture (ou culture de minorité) et de sa charge subversive à l'encontre de l'ordre établi. La littérature d'une part, les mouvements sociaux de l'autre, travaillent en ce sens. Si les mesures légales qui criminalisent l'homosexualité persistent encore largement, celleci, sous ses différentes formes, a commencé à se parler dans les oeuvres littéraires, renouant avec la littérature arabe classique. Des mouvements de gays et de lesbiennes émergent et s'organisent utilisant largement les nouvelles techniques de communication (internet). Les sciences sociales s'emparent aussi de cet objet. Le rôle des diasporas, les échanges entre pays d'origine et pays d'accueil contribuent largement à cette réélaboration, où se disent les homosexualités.
C'est donc à partir de différents regards (historiques, littéraires, politiques, anthropologiques, sociologiques) que l'on abordera cette question encore peu défrichée, en se centrant sur la question du dire, et des enjeux politiques qui y sont liés.
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