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Hitler et les professeurs

Couverture du livre « Hitler et les professeurs » de Max Weinreich aux éditions Belles Lettres
Résumé:

Dans cet ouvrage, Max Weinreich s'attache à montrer que « la science allemande a fourni les idées et les techniques qui ont conduit à un massacre sans précédent et l'ont justifié » (Hannah Arendt, Commentary). Et ceci non seulement à partir de la prise du pouvoir de Hitler en 1933, sous la... Voir plus

Dans cet ouvrage, Max Weinreich s'attache à montrer que « la science allemande a fourni les idées et les techniques qui ont conduit à un massacre sans précédent et l'ont justifié » (Hannah Arendt, Commentary). Et ceci non seulement à partir de la prise du pouvoir de Hitler en 1933, sous la férule d'un régime autoritaire, mais dès les années 20, par la manipulation idéologique des discours érudits des différentes disciplines.

Le livre se partage en deux parties, la première qui traite de la « plannification et de la préparation », et qui va jusqu'à la guerre, la seconde qui s'intitule « expérimentation à grande échelle ». C'est dire que Weinreich relie directement le soubassement théorique élaboré par l'élite intellectuelle allemande et la mise en oeuvre pratique de l'extermination à l'échelle européenne.

L'étude montre tout d'abord comment le régime nazi a travaillé sans relâche à la conquête des universités et des universitaires, établissant de nombreux instituts scientifiques ad hoc, afin de fonder, mener et justifier sa « solution de la question juive ». Bien avant que certains de ces instituts deviennent des officines du ministère de la Propagande du Reich sous la houlette de Goebbels, des penseurs allemands, des professeurs et des savants se sont jetés avec enthousiasme dans ce processus d'élaboration idéologique qui est devenu une arme aux mains du régime nazi.

Une des parties de cette étude apporte aussi un éclairage sur les institutions de recherche anti-juive créées sur le modèle allemand en Italie, France, Lituanie, Croatie, Danemark et Hongrie. Max Weinreich insiste sur le rôle joué par ces constructions pseudo-scientifiques lorsque commencent les massacres de masse des populations juives qui accompagnent l'invasion de l'Union soviétique en juin 1941.

Max Weinreich a examiné des milliers de documents qui ont été ramenés au YIVO - installé à New York à partir de 1939 - dès les premières victoires des Alliés. Certains d'entre eux étaient classés confidentiels, d'autres étaient des écrits largement publiés et diffusés, dont 5 000 publications allemandes du temps de guerre. L'appareil critique du livre fait apparaître l'océan bibliographique de la science raciale nazie, élaborée par des sommités universitaires travaillant d'arrache-pied et se répandant dans une multitude de publications à prétention scientifique. Tout au long de l'étude, Weinreich cite un nombre impressionnant de textes issus de toutes les disciplines des sciences humaines et des sciences naturelles : anthropologie physique et culturelle, philosophie, histoire, droit, économie, géographie, démographie, théologie, linguistique, médecine, biologie, physique.

Le travail de Max Weinreich révèle aussi à quel point l'objectif suprême de la « solution de la question juive » a toujours été placé par les dirigeants nazis et les factions qui s'affrontent à travers différents instituts et organes de presse - notamment les différends entre Walter Frank et Alfred Rosenberg - au-dessus des luttes pour le pouvoir qui les divisent, anticipant en cela les travaux d'historiens ultérieurs.

Pionnier de la recherche sur le rôle des élites intellectuelles allemandes dans la construction des théories raciales, le livre de Weinreich est également resté indépassé par l'ampleur de la documentation examinée. Certaines de ses conclusions ont été présentées et utilisées lors des procès de Nuremberg. Elles anticipent aussi les travaux d'historiens ultérieurs.

L'auteur Max Weinreich (1894-1969) est l'une des figures dominantes de la linguistique. Né en Courlande (Lettonie), dans un milieu germanophone, il s'est intéressé très tôt au yiddish. Ses premières traductions de la littérature européenne en yiddish paraissent alors qu'il a seulement quinze ans. Après des études à Saint-Pétersbourg, c'est à l'université de Marbourg, en 1923, qu'il obtient son doctorat en linguistique pour une thèse sur l'histoire de la philologie yiddish. Il est l'un des fondateurs du YIVO, acronyme yiddish du Yiddisher visnshaftlekher institut, institut de recherche consacré à l'étude de la vie juive en Europe de l'Est ainsi qu'à la langue et la culture yiddish, qui ouvre en 1925 à Vilna et qu'il dirigera jusqu'en 1939. Il a également étudié aux États-Unis à Yale, et auprès d'un disciple de Freud à Vienne, Siegfried Bernfeld, sur la fonction thérapeutique de la recherche. Il sera le premier professeur à enseigner le yiddish à l'université au College of the City of New York.

S'il est avant tout un linguiste - sa monumentale Geshikhte fun der yidisher shprakh, en 4 volumes dont 2 de notes et d'index, traite du dévelopement du yiddish à la fois du point de vue historique, culturel et linguistique - il s'intéresse de près à beaucoup d'autres champs des sciences humaines. Ses écrits concernent la psychologie, la sociologie, l'économie, la critique théâtrale, l'histoire littéraire, l'éducation, l'ethnographie, et la philosophie. On lui doit des traductions d'Homère et de Freud en yiddish. Il est à l'initiative d'une grande enquête sociologique lancée par le YIVO auprès de plusieurs centaines de jeunes de Pologne et de Lituanie, dont il a analysé les résultats dans son essai Der veg tsu undzer yugnt (Vilna, 1935), et qui fournit l'une des sources les plus solides pour comprendre la société juive entre les deux guerres.

Héritier de la pensée rationaliste des Lumières et de la Haskalah, Max Weinreich a également été très tôt engagé auprès du mouvement socialiste juif de Pologne et de Lituanie (le Bund), comme journaliste dès seize ans, comme écrivain et éducateur.

La traductrice Historienne de formation (étudiante puis assistante de Pierre Vidal-Naquet), Isabelle Rozenbaumas a traduit depuis 1983 des livres, des films et des pièces de théâtre de l'anglais et du yiddish. En 2000, elle a réalisé un film sur la transmission du yiddish : [nemt] : une langue sans peuple pour un peuple sans langue. Installée à Brooklyn depuis 2004, elle se consacre à la traduction, à l'écriture et à la création de différents projets multimédia liés à la transmission de la culture et de l'histoire du judaïsme d'Europe de l'Est, ainsi qu'aux courants de pensée qui conjuguent traditions et utopies.

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