"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quand nous avons conçu Génération, voilà plus de deux décennies, nous voulions raconter le cheminement d'un petit groupe qui avait contribué à faire l'Histoire. Celui de quelques dizaines de jeunes gens décidés, au coeur des sixties, à changer le vieux monde et qui avaient réussi à entraîner dans leur messianisme militant quelques dizaines de milliers d'autres. Ils étaient étudiants, souvent élèves des grandes écoles, révolutionnaires sans révolution, portés par une foi qui aujourd'hui semblera fort incroyable, désuète. Il ne s'agissait pas d'écrire une « histoire » de mai 68, mais de faire (re)vivre sur une vingtaine d'années, cette passion dévorante de la révolution. Nous avions pris un parti bien arrêté, celui d'un récit écrit au présent de l'indicatif. Nous aurions pu nous porter vers un essai en forme de bilan, voire vers une publication plus universitaire. Mais nous avons choisi la narration à travers une pluralité de personnages pour deux raisons qui nous paraissent toujours pertinentes. La première est que ce qu'on nomme, à l'emporte-pièce, « mai 68 », est un phénomène multiforme, contradictoire, irréductible à un objet ou même une collection d'objets. Le « mouvement » a tout à la fois proclamé qu'il est « interdit d'interdire » et milité pour la criminalisation du viol....
La deuxième est que cette mémoire est difficilement transmissible par le seul langage conceptuel. Comment faire sentir, aujourd'hui, le poids du parti communiste, l'héritage des guerres, l'Europe coupée en deux, gangrenée par maintes dictatures, etc. ? Nous avons donc opté pour le récit, tissé de maintes trajectoires, parcouru de mille méandres, afin que le lecteur plonge sans distance dans l'atmosphère intime d'une époque. Nous signons et persistons et n'avons pas retouché notre texte. Mille polémiques fleuriront comme, naguère, éclosaient les « cent fleurs ». Puisse notre travail contribuer à transmettre, par-delà les « pour » et les « contre », fort désuets, le parfum de ce qu'on appelait, faute de mots justes, « les événements ».
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