"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un livre bref, une fenêtre ouverte sur la Turquie. Des nouvelles comme autant de facettes d'une société.
Des nouvelles pleines des maux de ce pays, des crimes d'honneur, de l'arbitraire et de la pauvreté. De cette société enkystée dans ses contradictions, ses limites.
Pourtant l'espoir n'est jamais loin, une transition est possible, une autre façon de concevoir et faire les choses aussi.
Ce recueil se lit rapidement et si toutes les nouvelles ne m'ont pas touchées de la même manière, toutes sont intéressantes et émouvantes.
Et qui en est l'auteur ? Selahattin Demirtas. Un homme incarcéré depuis 2016. Qui encourt 183 ans de prison. Un leader kurde et pro-féministe.
Un homme qui rejoint la tristement célèbre liste des détenus turcs qui ont fait éclore leur talent d'écrivain derrière les murs d'une prison.
Emprisonné, mais pas contraint au silence par la force de ses mots qui ont pu franchir les barreaux et nous parvenir.
Pour faire connaître, dénoncer mais aussi célébrer son pays.
Lorsque j’ai rencontré Emmanuelle Collas en septembre dernier, elle présentait (ou plutôt elle défendait devrais-je dire) ce livre lors de la rentrée littéraire à la Roche-sur-Yon (85). J’ai été à la fois intriguée mais aussi fascinée par son courage et sa détermination.
Aujourd’hui, après la lecture de celui-ci, je comprends. Et j’ai un rêve. Celui que ce livre fasse le tour du monde, passe de mains en mains, et qu’enfin la démocratie l’emporte partout et pour tous, grâce à la littérature !
Les éditions Emmanuelle Collas, ont choisi de publier de recueil de nouvelles » L’aurore « en 2018, alors que son auteur Selahattin Demirtaş est toujours incarcéré dans la prison d’Edirne en Turquie. L’engagement d’Emmanuelle Collas pour cette publication démontre une volonté de reconnaissance sur la situation non seulement de l’auteur, mais aussi dans une perspective plus large, de la situation en Turquie. Elle cite à son propos : » Il y a chez lui, pour le XXIe siècle et pour le Proche-Orient, quelque chose de Vaclav Havel ou de Nelson Mandela. «
Bien plus qu’un recueil de nouvelles, ce livre est un engagement, un enjeu à défendre à tout prix, un cri d’espoir !
Quelques mots sur l’auteur de ses nouvelles avant toute chose, car c’est au prix de sa liberté que Selahattin Demirtaş a eu le courage de mener son combat. Et c’est après de longues semaines de négociations – censure oblige – que ce projet d’édition sera mené à son terme. Si » Résistance est espérance » comme le disait René Char, alors Selahattin Demirtaş est de ceux dont il ne faut pas oublier le destin. Incarcéré depuis le 4 novembre 2016 en Turquie donc, Selahattin Demirtaş est toujours en attente d’un procès. Il risque une peine de prison de 142 ans ! Turque d’origine kurde, il est le leader charismatique du HDP ( Parti démocratique des peuples ). Ce parti d’opposition pro-kurde est le plus progressiste du Proche-Orient. Malgré les circonstances liées à l’emprisonnement de l’auteur, et bravant la censure, le livre s’est vendu à 180 000 exemplaires depuis sa parution en septembre 2017. Un des plus grands best-sellers de l’histoire de l’édition turque.
C’est avec un grand sens de l’engagement et de logique que les éditions Emmanuelle Collas ont fait le choix de faire préfacer ce recueil par Asli Erdoğan, auteure en exil forcé, devenue le symbole de la résistance en Turquie.
L’aurore. Un titre simple aux mille évocations. Seher en turque, il est le nom d’une femme qui trouve la mort en rencontrant l’amour. Mais L’Aurore, c’est également le journal dans lequel Zola écrivit » J’accuse » le 13 janvier 1898 pour défendre Dreyfus.
» À toutes les femmes assassinées, à toutes celles victimes de violences… «
C’est ainsi que Selahattin Demirtaş rend hommage aux femmes dans son recueil composé de douze nouvelles. Si chacune est une histoire singulière de femme, l’ensemble constitue l’atrocité du destin d’être née femme dans la Turquie et la Syrie contemporaines. Si certaines sont proches de l’insoutenable à la lecture, l’auteur a ce talent de rester lumineux, même dans la nouvelle intitulée justement » Seher « .
p. 37 : » Un soir, dans la forêt, trois homme ont volé les rêves de Seher. Au milieu de la nuit sur un terrain vague, trois hommes ont pris la vie de Seher. «
Celle-ci m’a profondément touchée, et explique ma volonté de promouvoir ce livre et son auteur.
Il utilise aussi la personnification, notamment dans la nouvelle » Le mâle qui est en nous » . Ainsi, à la fin de celle-ci, le sourire en coin, le message est passé, telle la morale dégagée dans les fables de La Fontaine.
p. 22 : » La femelle, après dix minutes de résistance solitaire et acharnée, avait mis en déroute les oiseaux policiers, qui s’envolèrent loin de la cour. La détermination avec laquelle elle avait défendu son nid et ses œufs, malgré la violence de l’attaque menée contre eux, était vraiment incroyable. Quant à mon congénère, le voilà qui me regardait en bombant stupidement le torse. » Ne me regarde pas comme ça, tu devrais d’abord tuer le mâle qui est en toi. «
Selahattin Demirtaş imagine un soulèvement démocratique subversif, par les femmes, dans une rage d’être libre, en tant que telle. Une volonté décrite avec sensibilité dans la nouvelle » Nazo, femme de ménage » :
p. 52 : » Je suis ici parce que je suis une femme prolétaire. Je n’ai jamais participé de ma vie à une manifestation, pourtant ça m’a permis de voir notre quartier d’un autre œil. peut-être que je ne resterai pas longtemps en prison, mais ces six mois m’auront suffi à mieux me connaître. Et puis j’ai appris une chose importante : si tu marches droit devant, avec courage et détermination, tu pourras arriver plus vite que certaines voitures. C’est moi » Nazo, femme de ménage « , à nous deux Ankara ! «
Parfois sur un ton que l’on pourrait paradoxalement qualifié de drôle, Selahattin Demirtaş nous fait découvrir la réalité d’un monde qui ne touche que trop peu l’Occident. On y découvre un pays où la femme ne bénéficie d’aucune présomption d’innocence, coupable parce que d’abord femme. Si vous avez la chance de lire ce recueil de nouvelles, dites-vous qu’il a bravé tous les obstacles pour parvenir jusqu’à vous. Et qu’à ce titre, il est de notre devoir, autant pour cette raison que pour les trésors qu’il renferme, de diffuser au plus grand nombre cette œuvre ! Car la littérature a ce pouvoir, d’œuvrer pour la liberté !
» Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. » ( René CHAR, Feuillets d’Hypnos )
émotions prenantes tout au long de ce court recueil écrit en prison!L'auteur,lui-même toujours emprisonné par Erdogan dédie son livre aux femmes emprisonnées elles-mêmes,victimes de violence:dès la 1ère nouvelle le ton est donné:victime d'un viol collectif,la jeune fille violentée sera tuée par son jeune frère sous l'ordre de son père...puis des enfants mal payés construisent une prison!Difficile de quitter le domaine de l'émotionnel tant on lit la gorge serrée,la traduction participe sans doute à la qualité de ce texte.Un petit format de courtes nouvelles mais un texte puissant,à découvrir sans attendre,à faire connaître:une autre forme de lutte.
Selahattin Demirtaş est un écrivain turc d’origine kurde et surtout l’un des principaux opposants de Recep Tayyip Erdoğan, en tant que co-président du HDP (Parti démocratique des peuples). Il avait été choisi par son parti pour être candidat à l’élection présidentielle anticipée du 24 juin 2018, malgré son emprisonnement depuis le 4 novembre 2016. Emmanuelle Collas lors de la rentrée littéraire a décidé de publier un recueil de nouvelles que Demirtaş a écrit pendant son incarcération qui est toujours d’actualité. Il a été condamné d’ailleurs en septembre dernier à quatre ans et demi de prison et doit affronter de multiples procès dans les années à venir s’il n’est pas libéré, malgré une demande de libération demandée par la Cour européenne des Droits de l’Homme qui fut rejetée.
L’Aurore est un recueil de douze nouvelles qui a été publiée en septembre 2017 et donc un an plus tard en France grâce à Emmanuelle Collas et à la traduction de Julien Lapeyre de Cabanes. Il a figuré sur la liste du prix Médicis étranger jusqu’à la deuxième sélection, prix n’en comportant que deux d’ailleurs cette année. Il s’est vendu déjà à plus de 180000 exemplaires comme le rappelle l’éditrice. En plus des nouvelles, le livre contient les remerciements de l’auteur, un mot de l’éditrice qui cite « Résistance est espérance » de Char notamment ainsi qu’une petite biographie de l’auteur. Emmanuelle Collas est une jeune maison d’édition même si l’éditrice n’en est pas à ses débuts dans le métier, les livres sont très beaux, sobres, avec des bandeaux comme pour celui-ci ou une jaquette qui peut se retirer. Leur format est très appréciable.
Avec ce livre, j’ai découvert davantage la Turquie et plus largement le Proche Orient car jusqu’à présent, je n’ai lu en dehors de la revue Apulée, aucun livre complet d’un écrivain turc, ce qui est désormais chose faite. Pourtant, beaucoup d’auteurs turcs sont très célèbres, en premier lieu Asli Erdoğan dont j’ai suivi de près la détention et le procès constamment reporté avant qu’elle soit libéré, Orhan Pamuk, le prix Nobel de littérature ou encore Hakan Günday (lu dans Apulée justement et dont j’ai acheté récemment le roman Encore qui avait été publié justement par Emmanuelle Collas en 2015 aux éditions Galaade et qui avait été récipiendaire du prix Médicis, livre que j’ai eu la chance de trouver dans cette édition dans une librairie lilloise qui l’avait gardé dans son fonds).
Il faudrait évoquer chacune des douze nouvelles de ce recueil et parler d’un recueil de nouvelles est souvent plus difficile que parler d’un roman. Tout ce que l’on peut dire c’est que c’est magnifiquement écrit et remarquablement traduit à mon avis par Julien Lapeyre de Cabanes. « Seher » qui signifie « Aurore » et qui donne son titre au recueil qui est la seconde nouvelle du recueil est absolument bouleversante en particulier. Ce personnage de jeune femme m’a extrêmement touché. Je n’en dis pas plus. C’est un recueil sur la condition féminine, sur le désir de toutes ces femmes de pouvoir « affirmer leur liberté et leur indépendance » comme le souligne très bien la quatrième de couverture. La nouvelle « Ce n’est pas ce que vous croyez ». Les nouvelles qui m’ont le plus touché et marqué dans ce recueil sont en dehors de celle citée précédemment les nouvelles suivantes : « Ce n’est pas ce que vous croyez », « Salut aux yeux noirs », « Lettre à la Commission de lecture du courrier de la prison », « Les délices d’Alep » et « Seul comme l’Histoire » mais elles sont toutes intéressantes, par leur écriture, leurs thèmes, ces voix que l’écrivain nous donne à entendre, son intérêt pour diverses classes de la société. Il nous donne à voir les ravages que peut causer l’amour, traite beaucoup des relations parents-enfants dans des pays où les événements politiques et les mœurs ont une influence sur la famille. Ce n’est pas qu’un livre triste, c’est un livre également plein d’espoir, un livre de résistance, celui d’un homme engagé, que l’on sent extrêmement bon sur le plan humain. C’est un livre d’une profonde sensibilité. Bravo encore à l’éditrice, au traducteur et à l’écrivain !
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